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le mystérieux monsieur de l’aigle

ça allait mieux, et quoique son bras lui causerait probablement des ennuis et des souffrances pendant un certain temps encore, Claude passait la plus grande partie du jour assis dans un fauteuil, entouré de couvertures et d’oreillers.

On était au mois d’avril ; le beau mois du renouveau. Il était quatre heures de l’après-midi. Un gai soleil pénétrait dans la salle de La Hutte, lorsque nous retrouvons Claude. Installé confortablement dans un fauteuil, il paraissait dormir.

Non loin, Magdalena, recouverte d’un tablier à manches dans lequel elle ressemblait à une fillette, était à préparer de la limonade pour le malade. Zenon était occupé dehors, et Séverin était allé à la Rivière-du-Loup acheter des outils ; parti ce matin-là, il ne reviendrait que le lendemain, dans le courant de la journée.

La limonade étant faite et mise dans un pot de terre brune, Magdalena, marchant sur la pointe des pieds, alla la placer sur une table, à la portée du malade. Jetant un coup d’œil sur Claude afin de s’assurer que ses couvertures et ses oreillers étaient en place et qu’il dormait paisiblement, elle fut tout étonnée de constater qu’il avait les yeux grands ouverts et qu’il la regardait en souriant.

— Oh ! M. de L’Aigle ! fit-elle. Je croyais que vous dormiez… Je viens de faire de la limonade fraîche, continua-t-elle ; désirez-vous en boire ?

Elle avança la main dans l’intention de verser de la limonade dans un verre ; mais sa main fut saisie au passage, et la voix de Claude murmura :

— Magdalena !

Elle fut tellement surprise que ses jambes se dérobèrent sous elle et elle tomba assise sur une chaise faisant face au fauteuil du malade.

— Magdalena ! répéta-t-il.

— Vous… Vous savez ? balbutia-t-elle, pâle jusqu’aux lèvres.

Puisque M. le L’Aigle savait son nom de baptême, peut-être savait-il aussi son nom de famille… le nom de son père, mort sur l’échafaud ! Elle frissonna de la tête aux pieds ; elle crut vraiment qu’elle allait s’évanouir.

— Je sais… Oui, je sais que « Théo le petit pêcheur et batelier », est véritablement Magdalena, sous un déguisement…

— Mais… Comment le savez-vous ? Et depuis quand ? Je ne comprends pas…

— Je le sais, depuis le premier moment où je vous ai vue, Magdalena… Vous vous rappelez en quelles circonstances nous nous sommes rencontrés, n’est-ce pas ? Vous vous rappelez comme la brume était épaisse ? Si épaisse même que, lorsque je suis allé à votre secours, ma chaloupe touchait presqu’à la votre, sans que vous le sachiez ou que je le sache moi-même. Or j’ai surpris une conversation entre vous et M. Lassève ; ce dernier essayait de vous rassurer ; il vous sauverait la vie, disait-il, car il savait nager… Mais il se reprochait amèrement de ne pas vous avoir laissée à La Hutte, ce jour-là… À ce moment où le péril était si proche, il vous appelait par votre véritable nom.

— Je… Je me souviens… murmura la jeune fille, avec un soupir de soulagement. Elle avait craint de si affreuses choses !

— Moi, je ne disais mot, continua Claude, car j’essayais de me guider sur vos voix n’ayant pas d’autre moyen de m’orienter dans la brume… Quelle fut donc ma surprise quand sur L’Aiglon, je vis au lieu d’une jeune fille du nom de Magdalena, un garçonnet du nom de Théo.

— Et vous saviez tout le temps ! Ce n’est presque pas croyable !

— Mais, oui, je savais tout le temps ! rit Claude. Et ajouta-t-il d’un ton grave, je sais autre chose aussi, Magdalena…

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-elle, effrayée.

— Depuis ce premier instant où je vous ai aperçue, Magdalena, je sais… je sais que je vous aime !

— Impossible ! s’écria-t-elle.

— Impossible ? Pourquoi dites-vous que c’est impossible, Magdalena ? Vous êtes charmante, ma chérie ; vous voir, vous connaître, c’est vous aimer… Et vous, mon aimée ? Dites-moi, dites ! M’aimez-vous, un peu, en retour ? Avec la douce naïveté qui vous est propre, vous m’avez dit déjà que la différence d’âge qui existe entre nous « ça ne faisait rien »… M’aimez-vous, chère enfant ? Répondez franchement, je vous prie !

— Je… Je… Oh ! M. de L’Aigle, vous ne devriez pas me… me questionner ainsi !

— Répondez oui ou non seulement, mon aimée ! implora Claude. Si vous me répondez oui, je serai le plus heureux du monde… si vous me répondez non… eh ! bien, je serai infiniment malheureux ; mais, chère enfant, j’endurerai mon mal en silence et ne vous importunerai jamais. Magdalena, répondez-moi franchement, m’aimez-vous ?

— Oui… balbutia-t-elle, en rougissant et en détournant la tête.

— Ma bien-aimée ! s’exclama-t-il, en entourant de son bras valide la taille de la jeune fille. Et vous deviendrez ma femme bientôt ?

— Votre femme ?

— N’est-ce pas, ma chérie ? Ah ! si vous saviez comme ma maison me parait grande, vide, triste, depuis que vous êtes venue l’égayer par votre présence ! Dites, Magdalena, quand deviendrez-vous ma femme ?

— Oh ! Mais ! M. de L’Aigle ! Pas maintenant… Pas avant… je ne sais quand…

— Le mois prochain peut-être ?

— Impossible ! répondit-elle, heureuse quand même de se savoir tant aimée.

— Eh ! bien, alors disons dans les premiers jours de juin, consentit généreusement Claude.

— Je… Je… Le temps est court et…

— Ne vous tarde-t-il pas que nous ne nous séparions plus, ma chérie ?

— Oui, sans doute… Cependant… Et puis, il y a mon oncle… Je ne sais ce qu’il dira…

— Me permettez-vous de parler à M. Lassève ce soir, Magdalena ? Vous le savez, je retourne chez moi demain avant-midi.

— Oui, vous pouvez lui parler, si vous le désirez…