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le mystérieux monsieur de l’aigle

chercherions en vain à L’Aire, sur la Pointe Saint-André ; ils n’y sont plus. Ils habitent, sur les bords du lac Ontario, une riante, belle et confortable demeure, qui fait penser aux manoirs de jadis, et qui est connue, dans les alentours, sous le nom de la Villa Magda. C’est Claude de L’Aigle qui l’a nommée ainsi, en l’honneur de sa femme d’abord, puis en souvenir de la salle d’attente, ou de repos, là-bas, sur la Pointe.

De splendides terrains entourent la Villa Magda ; on dirait un parc en miniature, où les fontaines et les jets d’eau entretiennent toujours une douce fraîcheur, et où les fleurs les plus variées croissent en extraordinaire quantité ; nonobstant cependant les immenses serres, s’étendant en ailes, de chaque côté de la villa, et dont l’une regorge de roses.

Quant à la villa elle-même, elle est construite en stuco blanc, qui reluit comme du cristal au soleil, ou aux rayons plus discrets de la lune. Des vérandas et balcons en fer forgé ornementent toute la façade. Il n’y a ni tours ni tourelles, bien sûr, comme à L’Aire ; mais ceux qui passent sur le chemin s’écrient, en apercevant la Villa Magda : « Que voilà une maison à mon goût ! Ses pièces doivent être si vastes, si confortables ! Et voyez donc ces magnifiques serres ! Qu’ils doivent être heureux ceux qui demeurent là ! »

L’Aire avait donc été abandonnée ? Non, pas tout à fait. On y passait encore quelques semaines de la belle saison. Mais, nécessairement, ce n’était plus la somptueuse demeure de jadis ; les terrains n’étaient plus entretenus ; voilà pour l’extérieur, puis, on avait fait transporter à la Villa Magda les meubles les plus luxueux de la maison, les tableaux, les œuvres d’art, les candélabres de prix, etc., etc. Déjà, l’une des grandes cheminées s’écroulait ; il viendrait un temps sans doute où il ne resterait que des ruines de ce qui avait été un château, des ruines qui finiraient par se confondre avec les rochers des alentours.

Tout le personnel de L’Aire avait suivi les de L’Aigle dans la province d’Ontario, excepté Rosine cependant, qui avait épousé Séverin Rocques, et Suzelle était devenue bonne d’enfants à sa place. Rosine était donc restée à Saint-André et Magdalena se disait qu’elle n’aurait jamais d’inquiétudes au sujet de son père adoptif maintenant ; elle savait que Rosine aurait bien soin de lui. Les de L’Aigle avaient proposé à Zenon de les suivre ; il y aurait place pour lui, et amplement, à la Villa Magda ; mais il n’avait pas voulu quitter la La Hutte.

En ce qui concerne l’ex-bonne de Claudette, elle n’était pas partie les mains vides, de L’Aire ; les de L’Aigle l’avaient comblée de cadeaux, puis, à l’occasion de la naissance de son premier enfant, Magdalena lui avait envoyé, de Toronto, la plus belle, la plus complète layette qu’elle put trouver.

Un grand événement avait eu lieu depuis que les de L’Aigle demeuraient dans les environs de Toronto ; un fils leur était né. Mme de Saint-Georges s’était considérée très honorée d’être demandée à devenir marraine du nouveau-né.

— Mais, qui sera le parrain ? avait-elle demandé en souriant.

— C’est à vous de choisir, Thaïs, avait répondu Magdalena.

— Parmi tous vos admirateurs, ma cousine…

— Ah ! Taisez-vous donc, Claude ! fit-elle en riant. Pourquoi ne choisirais-je pas l’admirateur d’une autre plutôt ; le docteur Magny par exemple, ajouta-t-elle en jetant sur Mme d’Artois un regard à la fois taquin et malin.

— Oh oui, le docteur Magny ! Et je suis bien certaine qu’il acceptera avec plaisir, dit Magdalena. Qu’en pensez-vous, Mme d’Artois ?

— Sans doute… Je veux dire que le docteur Magny sera probablement fort honoré de votre choix, Mme de Saint-Georges, répondit Mme d’Artois en rougissant légèrement.

Sans raison apparente, tous pouffèrent de rire.

On aimait à taquiner la dame de compagnie à propos du médecin. Heureusement elle entendait bien à rire ; d’ailleurs, il était évident pour tous que le docteur Magny faisait la cour à la veuve, et les amis de celle-ci s’en réjouissaient, car les de L’Aigle disaient à qui voulait les entendre qu’il n’y avait pas d’homme plus estimable, plus aimable que leur voisin. Il ne pratiquait plus depuis quelques années, vivant de rentes bien gagnées ; tout de même, personne ne frappait en vain à sa porte, ni le jour, ni la nuit ; il était obligé de soulager l’humanité souffrante, disait-il, puisqu’il était médecin. Le docteur Magny demeurait dans une grande et belle maison entourée de magnifiques terrains ; ces terrains touchaient à ceux de la Villa Magda.

— Quel nom allons-nous donner à votre fils, Claude ? avait demandé Thaïs, la veille du jour fixé pour le baptême.

— Nous le nommerons Claude, répondit Magdalena.

— Claude ? Vraiment ?

— C’est très malcommode deux qui portent le même nom, dans la même maison, ne trouves-tu pas, ma chérie ? objecta l’heureux père.

— Et vous avez déjà Claudette, dit Zenon Lassève, qui était venu à la Villa Magda pour la circonstance.

— N’aurais-tu pas un autre nom à suggérer alors, mon Claude ? demanda la jeune mère.

— … Oui… J’aimerais que notre fils porte le nom d’un petit pêcheur et batelier, que j’ai connu jadis et qui m’était cher…

— Et il se nommait ? questionna Thaïs.

— Il se nommait Théo.

— Théo… C’est un joli nom, assura le docteur Magny ; mais ce n’est qu’une abréviation, n’est-ce pas ?

Magdalena avait rougi et échangé un sourire avec son mari, son père adoptif, et Mme d’Artois ; tous trois étaient dans le secret ; ils avaient bien connu le petit pêcheur et batelier qui se nommait Théo, jadis.

Quelques semaines après le baptême du jeune citoyen Théo de L’Aigle, Mme d’Artois annonça à ses amis qu’elle allait épouser, dans un mois, le docteur Magny.

— Chère Mme d’Artois ! s’était écriée Magdalena, quoique je regrette de vous voir nous