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le mystérieux monsieur de l’aigle

faites allusion, Mme d’Artois, dit Claude d’une voix grave. Oui, c’est moi qui… qui… Est-ce nécessaire de prononcer certaines paroles, que vous devinez, j’en suis sûr ?

— Non ! Non ! Ne les prononcez pas ces paroles, au moins ! s’écria Mme d’Artois en éclatant en sanglots. Oh ! Pauvre Magdalena !

— Je comprends, croyez-le, toute… l’horreur de la situation… On ne saurait imaginer rien de pire, de plus tragique…

— Et Magdalena qui a tant confiance en vous ! Mais ! La chère enfant vous adore, M. de L’Aigle ! Si elle savait !…

— Que voulez-vous que j’y fasse, Mme d’Artois ?

— Rien… Excepté faire tout en votre pouvoir pour que votre femme ne découvre jamais votre secret.

— Elle ne le découvrira jamais, si cela dépend de moi… et de vous aussi, j’en suis convaincu. Vous le savez, j’ai… j’ai… démissionné comme… comme membre de… du Club Astronomique… C’est fini, Dieu merci, ce chapitre de ma vie. Ce voyage que je viens de faire est le dernier… de ce genre.

— Tant mieux, Seigneur !

— Vous me méprisez beaucoup, n’est-ce pas, Mme d’Artois ? demanda Claude, d’une voix qui tremblait légèrement.

— Je méprise… je hais… votre secret, M. de L’Aigle… Je trouve épouvantable la pensée que j’ai vécu sous le même toit qu’un… Ah ! Quand je me dis qu’au retour de chacun de ces voyages, de ces… assemblées, Magdalena reçoit, heureuse et confiante, vos caresses, vos baisers !… Vraiment, c’est… excusez le mot, je vous prie ; mais je trouve que c’est révoltant !

— Je suis profondément peiné de vous inspirer tant de mépris, Mme d’Artois, croyez-le ! fit Claude gravement.

— Je viens de vous le dire, c’est votre secret que je méprise et que je hais, répondit Mme d’Artois. Quant à vous personnellement, M. de L’Aigle, pourquoi vous mépriserais-je ? Je ne ressens envers vous que la plus grande reconnaissance… Lorsque M. Lassève est venu me chercher, dans mon triste alcôve, à Montréal, où je courais le risque de mourir de faim et de misère ; qu’il m’a dit que c’était Magdalena qui avait suggéré mon nom, comme surveillante et compagne ici, et que vous aviez généreusement et joyeusement acquiescé à son désir, je me suis jurée que j’essayerais de vous prouver que vous n’obligiez pas une ingrate… Et maintenant, M. de L’Aigle, je vous conseille fortement de brûler cette lettre immédiatement, ajouta-t-elle, en désignant l’enveloppe longue et étroite que Claude avait tenue dans sa main, depuis que Mme d’Artois la lui avait remise.

Regardant dans l’enveloppe, afin de s’assurer qu’elle contenait bien le papier compromettant pour lui, Claude de L’Aigle s’empressa de la jeter dans les flammes du foyer, contenant et contenu.

— Madame, fit-il ensuite, en s’adressant à la fidèle amie de Magdalena, je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance pour l’extraordinaire service que vous m’avez rendu…

— N’en parlons pas ! N’en parlons plus ! dit-elle. Que ce soit un chapitre clos pour toujours, et que jamais nous n’y fassions même la moindre allusion.

Nous devons protéger Magdalena et arranger les choses pour qu’elle n’aie jamais l’ombre d’un soupçon à votre égard. Ensevelissons donc, pour toujours, votre terrible secret, votre horrible passé, dont la pensée fait frémir.

— Madame, répondit Claude, je vous remercie, encore une fois !… Vous le devinez, sans doute, d’incontrôlables circonstances m’ont obligé de suivre le… chemin que j’ai suivi… Désirez-vous que je vous relate ces circonstances ?

— Non, M. de L’Aigle ! Vous venez de le dire, il y a eu des circonstances incontrôlables… Qu’un homme aussi distingué que vous, ait… Mais, c’est entendu que nous n’en parlerons plus ! L’important, c’est de veiller à ce que Magdalena ignore, toute sa vie, votre secret, la pauvre chère enfant ! Au revoir, M. de L’aigle.

— Au revoir, Madame, et merci ! s’écria Claude. Puis il ajouta : « Je vous verrai à l’heure du lunch, n’est-ce pas ? »

— Certainement ! assura-t-elle, en quittant la bibliothèque.

Ce n’est qu’après le lunch que Claude se rendit dans son étude. Il fut légèrement surpris de n’y pas trouver la secrétaire ; mais comme cette demoiselle ne lui était pas tout à fait indispensable, il oublia vite son absence. Il avait beaucoup d’ouvrage à faire d’ailleurs, surtout des corrections à son dernier manuscrit, et bientôt, il était plongé dans ses paperasses, par-dessus la tête.

Quatre heures de l’après-midi venaient de sonner, quand Euphémie Cotonnier entra dans l’étude enfin.

— Je vous demande bien pardon de n’avoir pas été à mon pupitre encore, aujourd’hui, M. de L’Aigle, dit-elle ; je…

— Il n’y a rien à pardonner, Mlle Cotonnier, répondit Claude. Vous n’êtes pas malade ?

— Un peu… Je me sens mieux maintenant… Mais, M. de L’Aigle, je me vois dans l’obligation d’abandonner ma position de secrétaire ici.

— Oui ? fit-il. Il éprouva plutôt du soulagement, à l’énoncé de cette nouvelle, car il n’avait jamais pu digérer tout à fait sa secrétaire.

— La raison pour laquelle je démissionne, reprit Euphémie, c’est que j’aurai des revenus dorénavant et je ne serai plus forcée de travailler, du moins, pas constamment.

— Je vous félicite de votre bonne fortune, Mlle Cotonnier !

— Vous ne me demandez pas d’où me viendront ces revenus, M. de L’Aigle ? Je vais… hériter de dix mille dollars…

— Vraiment ? J’en suis heureux pour vous, croyez-le !

— Dix mille dollars, à six pour cent, cela me donnera un revenu de six cents dollars par année ; c’est assez beau, n’est-ce pas ?

— Certainement ! Et si je ne m’informe pas de la source de vos revenus, c’est parce que…

— Parce que cela ne vous intéresse nullement peut-être ? Pourtant, M. de L’Aigle, dit Eu-