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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Il y a quelque chose, M. Lassève, fit-il. Qu’est-ce ? Magdalena…

— Magdalena, la pauvre enfant, est presqu’au désespoir !

— Mon Dieu ! s’exclama Séverin. Elle a donc découvert…

— Hein ? fit Zenon. Que voulez-vous dire, Séverin ?

— Rien… Oh ! rien… Mais, vous ne m’avez pas expliqué encore…

— Je vous dis que ça arrache le cœur de voir le désespoir de la pauvre enfant… Quelle catastrophe aussi !

— Son mari lui a donc fait de la peine ?

M. de L’Aigle ?… Écoutez donc, mon pauvre ami, s’écria Zenon, au comble de l’étonnement, Magdalena avait raison, en fin de compte, de dire que vous en vouliez à son mari !… Si elle a tant de peine, ce n’est certainement pas de la faute de M. de L’Aigle, ni de qui que ce soit en ce monde ; tout de même, la pauvre enfant est terriblement éprouvée, car Claudette est malade, bien malade.

— Claudette ? Ah ! Qu’a-t-elle la chère mignonne, M. Lassève ?

— La diphtérie, assure le docteur Thyrol. Je vous l’ai dit, Magdalena et son mari sont au désespoir, tous deux… Je vais retourner à L’Aire demain. Ne m’accompagnerez-vous pas, Séverin ?

— Je verrai… Si je le puis… répondit le pauvre garçon, se disant qu’il trouverait bien quelque raison pour ne pas accompagner son ami, le lendemain. Heureusement que les de L’Aigle n’étaient pas partis pour voyage, reprit-il. Ne devaient-ils pas aller à Québec ?

— Ils devaient partir, ce soir même. Pauvres gens ! C’est une vraie pitié de les voir !

Oui, la mignonne Claudette était très malade et la tristesse régnait à L’Aire. Pendant deux mortelles semaines, l’enfant fut en danger. Mais le docteur Thyrol parvint à la tirer de là, et dans les premiers jours de septembre, Zenon put rapporter à La Hutte la nouvelle que la petite serait bientôt convalescente, nouvelle qui réjouit Séverin à un tel point qu’il se mit à exécuter un pas seul dans la salle d’entrée.

Certain jour, vers la fin de septembre, Séverin partit pour la « Villa Magda », située à mi-chemin entre La Hutte et L’Aire. Car, Zenon avait réalisé son rêve du printemps précédent. Il avait dit qu’il bâtirait une cabane, à mi-chemin, entre les deux maisons ; mais, avec sa manie des constructions, la cabane s’était changée en une jolie maisonnette toute blanche. Au dessus de la porte d’entrée, on pouvait apercevoir, découpé dans le bois : « Villa Magda » ; on le devinait, c’était Séverin qui avait découpé ces mots, de son ciseau si habile. Magdalena, ainsi que Claude, avaient été fort touchés de la gracieuse idée de ces deux hommes de cœur : Zenon et Séverin.

En ce jour dont nous parlons, Séverin se rendait à la « villa », y faire certaines réparations, ou améliorations. La scie, le marteau, le rabot sous le bras, il marchait lentement, la tête baissée… Était-ce bien Séverin Rocques, cet homme sombre qui cheminait ainsi ?… Qu’avait-il ?… On ne l’entendait ni siffler, ni chanter, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire… Au contraire ; le regard terne, les lèvres sérieuses, il paraissait être en proie à de douloureuses pensées. Parfois, ses yeux se portaient dans la direction du Roc du Nouveau Testament, alors, il pâlissait un peu et il marmottait des phrases incohérentes.

Enfin, il arriva à destination. Très absorbé dans ses pensées, ce ne fut que lorsqu’il eut franchi le seuil de la Villa Magda qu’il s’aperçut que Claude de L’Aigle y était installé.

— Tiens ! M. Rocques ! s’écria Claude. Ça va bien ? demanda-t-il, en tendant la main à Séverin.

Mais Séverin, en frais de déposer ses outils par terre, ne vit pas, sans doute, la main qui lui était tendue.

— Merci, ça va bien, répondit-il seulement. Et Magdalena ? Et Claudette ?

— Magdalena est en excellente santé. Quant à Claudette, elle rayonne de santé, elle aussi, ainsi que de bonne humeur, la mignonne, dit Claude en souriant.

— Ah ! Tant mieux, tant mieux !

— Vous n’êtes pas venu, une seule fois, voir Claudette, tandis qu’elle était si malade, M. Rocques ? fit Claude. Mais peut-être avez-vous peur de la dyphtérie ?

— Non, je n’ai pas peur de la dyphtérie, et j’ai été mortellement inquiet tout le temps que la petite a été si mal. Mais, comme je n’avais pas d’affaire chez-vous, M. de L’Aigle, je me contentais des nouvelles que M. Lassève m’apportait, de Claudette, presque chaque jour.

— Ah ! Et pourquoi n’êtes-vous pas venu, vous-même, prendre des nouvelles ?

— Parce que, je le répète, je n’ai pas d’affaire chez-vous, répliqua rudement Séverin. Je suis très-particulier de la société que je choisis, voyez-vous, ajouta-t-il, avec un sourire qui eut l’heur de déplaire grandement à son interlocuteur.

— Vous… Vous voulez m’insulter, je crois, M. Rocques ? s’exclama Claude en pâlissant. Vous venez de…

— Monsieur, dit Séverin, je suis allé en voyage, il y a quelques semaines, vous le savez ; or, j’ai eu… l’honneur de voyager en même temps que vous…

— C’est un honneur que vous avez dû partager avec bien d’autres, répondit Claude, avec un sourire sarcastique.

— J’étais sur le même train que vous, reprit Séverin, sans s’arrêter à ce que Claude venait de lui dire. J’étais sur le traversier, de Lévis à Québec ; et j’ai pris, encore, le même train que vous, dans cette dernière ville ; en même temps que vous, j’arrivais à Montréal…

— Eh ! bien ? fit Claude, d’une voix tremblante, quoique d’un ton impatienté.

— J’ai eu l’occasion de vous voir, de nouveau, durant mon séjour à Montréal continua Séverin. Je vous ai vu… plus d’une fois… J’ai… j’ai assisté à… à… l’une de ces… ces… assemblées… du club Astronomique, ajouta-t-il, avec un sourire méprisant. Ah ! Vous pâlissez, M. de L’Aigle ?… Oui, j’étais là… J’étais présent… et je sais.

— Mon Dieu ! Ô mon Dieu ! balbutia Clau-