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tous ceux qui se sont portés malades n’ont pu obtenir dix minutes d’attention et ont été marqués « bons ». Quand nous tous, les « bons », deux mille hommes, avons été conduits de la chancellerie aux casernes, dans la rue, sur une longueur d’une verste, il y avait une foule de parents, de mères, de femmes avec des enfants sur les bras, et si vous aviez vu et entendu comment elles s’accrochaient à leurs pères, à leurs maris, à leurs fils, et se traînaient à leur cou en sanglotant désespérément ! Moi, en général, je me domine, je retiens mes sentiments, mais c’était plus fort que moi ; j’ai pleuré aussi… » [Dans le langage des journaux, cela s’exprime ainsi : « L’élan du patriotisme est inouï…] « Avec quoi mesurer cette douleur immense qui va se répandre sur un tiers du monde entier ? Et nous, nous sommes maintenant de la chair à canon, que bientôt on donnera en sacrifice au Dieu de la vengeance et de l’horreur ! »

Cet homme ne croit pas encore suffisamment qu’il est moins terrible de perdre le corps que de perdre le corps et l’âme, c’est pourquoi il ne peut refuser de servir. Mais