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nous suivait à quelques mètres, nul bruit ne parvenait à nos oreilles, et parfois nous nous retournions pour vérifier s’il ne nous avait point perdus.

Tantôt nous nous élancions à travers la neige nue, tantôt nous glissions le long de la forêt, qui est innombrable et morcelée, et se développe dans la plaine en taches sombres. L’érable et le platane enchevêtraient dans l’espace, comme des bras désespérés, leurs branches défeuillées. Le sapin, abaissant vers la terre ses débonnaires aiguilles, semblait le morne témoin de la nature engloutie. Une si vaste désolation emplissait mon cœur d’une mélancolie âcre et forte, et, sous les lames de froid, je me sentais gonflé d’une merveilleuse jouissance.

Me montrant tous ces morceaux de forêt, qui fournissent leur maigre chère aux tristes vivants de ces lieux, Madame Tolstoï contait les féroces convoitises qui s’acharnent autour de ces rameaux porteurs de vie, les mille querelles de propriété qui surgissent entre les possesseurs, l’âpreté sournoise que chacun met à empiéter sur le voisin, les