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souvenir d’un peuple dispersé

qui me paraissait s’offrir à votre salut, et celle-là conduisait aussi à mon bonheur : en acceptant, vous étiez, vous et votre famille, à l’abri des rigueurs de l’exil. Je savais bien ne pas avoir assez mérité votre main, je n’ignorais pas, non plus, le nœud sacré qui lie votre existence à celle d’un autre ; mais j’avais l’espoir qu’après cinq ans d’attente inutile, après les événements qui se sont passés du côté de Beau-Bassin, au milieu de circonstances aussi précaires, vous trouveriez peut-être dans votre raison des motifs assez forts, et dans ma conduite auprès de vous assez de garanties de protection, de respect et d’amour, pour vous faire accueillir mes vœux… Vous ne m’avez pas répondu… Dans quelles angoisses vous m’avez laissé !… J’étais gardé à vue ; connaissant en partie l’attachement qui m’unissait à vous et aux vôtres, mes gens épiaient mes pas, craignant une trahison. Le soir de la fête de la ferme, la veille de l’assemblée, je n’en pouvais plus ; le désir de vous voir et de vous parler m’entraîna du côté de votre maison ; mais elle était pleine de monde. Cependant j’entrai, j’espérais vous voir encore sourire avant les jours de larmes !… Et comme j’ai souffert !… Ma langue a été fausse, et vous m’en avez accusé ; mais que pouvais-je dire ? Si j’avais laissé apercevoir dans ma réponse le but de l’assemblée, cela aurait sans doute produit un soulèvement désespéré au milieu de la population, qui n’aurait eu d’autre résultat qu’un massacre horrible ; et d’ailleurs, j’étais lié par mes serments d’office : je puis désobéir à mes supérieurs et désapprouver ma nation, je ne suis pas libre de les trahir.

Voilà, Marie, tout ce que je puis dire pour ma justification ; maintenant, si je mérite encore votre mépris, il ne me reste plus qu’à jeter ces épaulettes souillées à la face de Winslow, quoiqu’il arrive… Mais si vous me jugez encore digne de votre estime, je reste sous les armes avec le faible espoir de protéger votre sort. Aujourd’hui, je ne puis ni formuler de nouveau ni retirer ma demande de l’autre jour. Avant ces funestes événements, je pouvais demander votre main, les malheurs ne pesaient pas sur votre volonté ; mais maintenant, vous pourriez peut-être croire encore que je veux m’en faire un auxiliaire… Soyez libre, Marie… Seulement, je vous déclare sur l’honneur que le jour où mon nom vous paraîtra assez réhabilité pour que vous puissiez le porter, il vous appartiendra. Je suis déjà catholique de cœur et de foi, je le serai publiquement le jour de mon mariage…

En entendant ces dernières paroles, Marie mit ses deux mains sur son visage et resta un instant silencieuse. Elle éprouvait un combat terrible dans son âme : elle voyait tout à la fois, comme