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jacques et marie

Puisque la petite Landry voulait oublier Jacques, çà ne valait pas la peine de nous faire la dédaigneuse, pour ce beau polisson protestant qui rit d’elle, en dessous…

— Et la vieille Trahan, qui dit tout haut qu’il veut la demander en mariage !

— Et la mère Landry, qui se gourme déjà à l’idée d’avoir un officier pour gendre… un Anglais… un protestant !…

— Non, non pas, car Pierriche dit qu’il se ferait catholique !… rien moins que ça… les bêtas, à quoi ça songe-t-il ?…

— Ils ont pourtant été prévenus assez sur son compte ; je leur ai dit, moi-même, ce que j’avais appris de ma tante Piecruche, qui l’avait appris elle-même de son neveu Piecruchon, qui frotte les bottes du gros capitaine Butler : s’ils ont un jour du repentir d’avoir encouragé cette liaison, ce ne sera pas notre faute, toujours.

Et le garçon raconta à son compagnon ce qu’avait rapporté le petit Piecruchon ; mais il eut soin de baisser la voix ; quelques uns des Landry s’approchaient d’eux, et l’histoire ne leur aurait probablement pas plu. C’était un vilain récit inventé au corps de garde, que les mécontents et les envieux s’empressaient de propager.


XX

George ne s’était pas fait d’amis parmi ses compagnons d’armes ; il les méprisait trop, pour vouloir de leur affection. Dès son arrivée, sa distinction naturelle, sa politesse, ses habitudes aristocratiques avaient indisposé cet entourage incivil : le vernis de l’éducation et de la société offusquent d’ordinaire ces natures sordides, parce qu’il met en relief leur écorce grossière. Ses relations avec les Acadiens, les coups qu’il avait fait donner à ses soldats, pour leur conduite à la ferme de Marie, lui avaient attiré leur haine : ces misérables cherchaient toutes les occasions et tous les moyens de satisfaire leur vengeance.

D’un autre côté, on avait vu se former depuis quelque temps, au milieu des familles de Grand-Pré, une division assez marquée : quoique les adversaires les plus ardents des Anglais eussent déjà quitté le pays à cette époque, cependant il s’en trouvait encore beaucoup que les intérêts de famille avaient retenus, malgré eux, et que révoltait l’idée d’être pour toujours et sans réserve des citoyens anglais. D’autres au contraire, plus timides ou plus