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jacques et marie

Il ne reviendra pas, probablement, avant mardi prochain. C’est aujourd’hui vendredi ; or, comme les chemins sont très-mauvais, et que le Père veut donner à ces bonnes gens le service divin, les visiter tous un peu, leur offrir tous les secours spirituels, les préparer au grand coup qui vient de les frapper, il a besoin de ces quatre jours.

— Depuis combien de temps est-il parti ? dit Jacques avec précipitation.

— Depuis une heure seulement.

— Alors, il nous sera facile de le rejoindre, n’est-ce pas, mon Père, en prenant le train d’expédition ?

— Je n’en doute pas ; le Père de la Brosse a maintenant le pas appesanti ; mais je vous en préviens, la route est difficile.

— Alors, mon Père, permettez que nous partions ; j’ai grande hâte de causer avec lui ; s’il allait me conduire lui-même à la maison de ma famille !…

— Je vous le souhaite, mon brave ; quand on sait si bien accomplir ses devoirs de citoyen et d’enfant, on mérite que Dieu nous récompense ; que la bénédiction d’un vieillard vous accompagne dans vos pieuses recherches ! Si nous restons ici… et si le ciel vous favorise dans votre voyage, venez me conter votre bonheur, afin que je me réjouisse avec vous.

Après ces paroles, le saint religieux, indiqua à Jacques la route qu’il devait suivre.

Un seul chemin traversait alors l’immense forêt qui séparait de ce côté, le St.-Laurent du Richelieu ; c’était celui de St. Jean, et c’est celui que le Jésuite avait désigné à nos voyageurs. Il était droit et déjà bien tracé, on ne pouvait s’y égarer : Jacques et Wagontaga s’y avancèrent rapidement, mais après avoir franchi un espace de trois lieues à peu près, ils commencèrent à s’étonner de ne pas apercevoir, même dans le lointain, le missionnaire qu’ils désiraient tant rejoindre.

— Pour quelqu’un dont le pas est appesanti, se dit Jacques en lui-même, je trouve qu’il enjambe lestement cette route d’enfer ; il faut qu’un ange l’ait voituré, ou bien qu’il soit tombé aux mains de quelques patrouilles anglaises.

En effet, ce chemin, qui a été dans tout le temps un des plus difficiles du pays, était à cette époque à peine pratiquable dans les plus beaux mois de l’été ; percé à travers des marais, des savanes et des terres argileuses, ponté à plusieurs endroits de bois rond, il avait servi de passage, durant toute une saison, à toutes les troupes françaises et anglaises ; ce n’était plus qu’une voie de cahots et de boue. À tout instant les deux voyageurs étaient forcés d’entrer dans le