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jacques et marie

les avis que le ciel m’inspirera… Et tous ces malheureux se retiraient, l’âme calmée par ces simples paroles qui représentaient pour eux la sagesse et la volonté divine. La paix qui régnait sur le front du prêtre descendait dans tous ces cœurs naïfs. En le voyant s’approcher de lui, Jacques sentit augmenter ses espérances, il lui sembla qu’un air vivifiant venait l’envelopper, il éprouvait une sensation de repos et de satisfaction qu’il avait oublié depuis longtemps.

— Et vous, dit le Supérieur en l’accostant, vous avez aussi à me parler, que désirez-vous ? à qui ai-je l’avantage de parler ?

— Je suis un proscrit acadien ; depuis le jour de mon exil, j’ai servi constamment la France, et maintenant que je ne puis plus rien faire pour elle, je cherche mes parents dispersés… Je venais vous demander, mon Père, si dans votre maison quelqu’un n’aurait pas entendu parler d’eux.

— Comment se nomment-ils ?

— Mon père se nomme Pierre Hébert, et nous sommes alliés aux Leblanc, aux Landry, aux Cômaux.

— Mon enfant, ces noms ne me sont pas inconnus ; je les ai souvent entendu prononcer lorsque j’étais à Québec et même depuis le peu de temps que je suis ici. Mais je ne puis moi-même vous donner aucun renseignement exact sur les familles qui les portent et sur les lieux où elles résident ; depuis que j’habite la Nouvelle-France, j’ai exercé mon ministère surtout parmi les sauvages. Un des Pères de cette mission pourra vous être plus utile que moi ; il a séjourné au milieu de vos compatriotes, il les a suivis après qu’ils se furent enfuis de leurs pays, les a aidés dans leurs nouveaux établissements, et depuis les quelques semaines qu’il est ici, il a visité deux fois ceux qui se sont fixés à quelques lieues d’ici, sur les bords de la petite rivière de Montréal : peut-être le connaissez-vous.

— Puis-je savoir son nom, mon Père ?

— C’est le Père de la Brosse.

— Le Père de la Brosse ! s’écria Jacques, mais c’est presqu’un frère d’armes, il a vécu pendant près d’un an à côté de moi ; nous couchions sous la même tente. Oh ! qu’il m’a fait du bien, après les dures séparations que je venais de subir, quand nous errions dans les environs de l’Acadie, moi, pour protéger nos émigrés, lui pour les recueillir et les consoler ! Que je suis heureux de le rencontrer encore !

— Malheureusement, dit le Père Supérieur il ne se trouve pas maintenant dans la maison ; on est venu le quérir pour des malades en danger… précisément pour un Acadien de la nouvelle commune.