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jacques et marie

compagnie : il avait connu autrefois plusieurs de ces zélés missionnaires ; il espérait en rencontrer quelques-uns à la Prairie de la Magdeleine. Il faisait encore une hypothèse assez vraisemblable et qui n’avait pas moins de charme pour lui :

— Si Marie est venue au Canada par le lac Champlain et le Richelieu, comme le laisse croire la lettre du colonel Winslow, elle se sera arrêtée dans le premier établissement où elle aura rencontré quelques-uns de ses compatriotes.

Or, la Petite-Cadie, bien isolée à cette époque, se trouvait sur son chemin.


VII

C’est donc le cœur plein d’espérance et de crainte que Jacques monta les degrés du perron qui conduisait à l’humble habitation des Pères. Un frère vint ouvrir la porte du parloir et introduisit les voyageurs dans une pièce déjà remplie de monde, puis il leur dit :

— Vous désirez parler à quelqu’un d’ici ?

— Oui, bon frère, répondit Jacques, je voudrais avoir un moment d’entretien avec le Père Supérieur.

— Le voici lui-même qui vient. Veuillez vous asseoir, en attendant qu’il ait terminé avec ces autres personnes.

La plupart de ces visiteurs étaient des femmes, des vieillards et des enfants canadiens ou sauvages ; en apprenant la capitulation, ils étaient accourus auprès de leurs pasteurs pour leur demander des conseils et des secours, apprendre quel sort leur était réservé et ce qui allait advenir à leurs parents restés sous les armes. Le bon religieux répondait à tous selon son cœur et comme le requéraient les besoins de chacun ; il distribuait en même temps ce que sa charitable indigence lui permettait d’enlever à la vie de la petite communauté pour le donner à ceux qui demandaient les soins les plus urgents. Une table était dressée dans un coin où les habitués de l’aumône allaient prendre quelque nourriture que leur servait le frère portier. Puis il congédiait tout ce monde avec douceur, leur disant :

— Allez, mes enfants, espérez en Dieu et priez ; soyez ensuite sans inquiétude. Regagnez vos maisons et vos cabanes, vous reverrez bientôt vos parents, il ne leur est pas arrivé de mal. Ce soir, à l’Ave Maria, trouvez-vous tous dans la chapelle ; je vous donnerai