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souvenir d’un peuple dispersé

nous avez donnés de soulager les Acadiens. Votre banquier trouve que nous faisons honneur à votre munificence. Nous faisons distribuer tous les jours des aliments à tous ceux qui ne peuvent rien gagner. Nous avons fait visiter les malades par des médecins. Grâce à vos bonnes intentions et au plaisir que nous éprouvons d’ailleurs de soulager ces infortunés, leur état s’améliore. Quant à la famille Landry, qui nous intéresse plus que jamais, je dois vous en parler plus en détail.

« J’ai continué les recherches que vous aviez commencées, pour réunir ensemble ces tendres cœurs déchirés, et j’ai le chagrin de vous mander que j’ai peu réussi. Ces recherches étaient d’autant plus difficiles que les armateurs n’avaient pas pris la peine d’enregistrer le nom des déportés ; connue il leur suffisait, pour toucher leur salaire, de constater le nombre de ceux qu’ils avaient à leur bord, ils ne se sont pas donné plus de peine.

« J’avais ouï dire que le vieux notaire Leblanc venait d’arriver à Philadelphie ; j’y fis faire aussitôt des perquisitions qui n’eurent d’autres résultats que de m’apprendre la fin déplorable de ce vieux serviteur de notre gouvernement. Accosté d’abord dans le port de New-York avec sa femme et deux de ses plus jeunes enfants, il n’avait, pas voulu s’y reposer sans avoir retrouvé quelques autres des siens. Mais sa santé était déjà trop délabrée pour supporter plus de fatigue et de chagrin, il expira en rejoignant trois autres membres de sa famille. On ne sait ce que sont devenus les seize qui manquent encore. Quelques rapports recueillis en Pensylvanie m’ont fait soupçonner que le père Landry serait mort lui-méme à bord de l’un des pontons, et aurait été jeté à la mer. D’ailleurs, près de trois cents de ceux qui sont arrivés dans cette province ont déjà péri de maladie et de misère.

« Pour se délivrer de la dépense qu’entraîne le soutien de ceux qui survivent, le gouvernement leur a offert de les vendre comme esclaves !… Vous savez déjà qu’ici la ville s’est crue généreuse en offrant de placer, dans la maison des pauvres, les enfants que leurs parents ne peuvent pas alimenter. Nous leur avons enlevé une partie de leurs affections et nous leur demandons, par charité, de leur arracher le reste. Nous les avons fait prisonniers sans raisons légitimes et nous trouvons lourd de leur donner à manger ; et nous nous étonnons qu’ils refusent de pareils témoignages de bienveillance ! Vraiment, nous allons laisser une belle preuve de notre esprit de justice à la postérité !

« Malgré tous mes efforts, je n’ai pu me mettre sur la trace d’aucun des frères de Marie ; il n’est pourtant pas probable qu’ils aient