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jacques et marie

qu’à regret. Après avoir fait quelques pas, il s’arrêta près du banc rouge sur lequel Jacques s’était agenouillé la veille, et malgré la pluie qui tombait toujours par torrents, il ne put s’empêcher de s’y asseoir, évidemment ému…

— Nous n’avons pas de temps à perdre, dit le plus jeune et le plus petit de la bande… à moi aussi, cela me fait de la peine !…

Et le jeune homme essuya ses larmes et, en touchant de l’autre main l’épaule du premier, il continua :

— Pauvre Marie !… c’est dans son troupeau que nous allons nous servir… elle qui ne voulait pas permettre que l’on tuât un seul de ses agneaux !… Mais dans ce moment, elle serait bien heureuse de nous les voir tous prendre !…

Le compagnon auquel il s’adressait plus particulièrement semblait ne pas l’entendre.

— Eh bien ! laisse au moins aller notre Farfadet ; les moutons le connaissent encore mieux que moi ; il nous rendra leur abord plus facile.

— Vas, Farfadet ! fut la seule réponse qui sortit de sous la peau de caribou chamarrée que nous avons déjà vue sur Wagontaga, et qui enveloppait le personnage taciturne de la tête au pieds.

— Maintenant, dit le jeune homme en menaçant du doigt le chien qui commençait à oublier sa première leçon, bride ton cœur, notre fidèle, et viens avec P’tit-Toine. En terminant ces mots, le plus jeune des Landry se dirigea du côté où s’élevait la bergerie. Les moutons s’y pressaient tremblants sous leur toison toute imprégnée par l’orage. En reconnaissant leur gardien en titre et le frère de la petite maîtresse, ils donnèrent des signes évidents de sympathie, contre les prévisions d’Antoine, qui croyait que de pareils événemens avaient dû changer leur caractère. Il ne lui fallut donc pas de grands efforts pour se faire suivre par quelques belles brebis. Leur maîtresse les avait familiarisées par ses caresses ; la plupart portaient leurs petits noms d’amitié et elles accouraient volontiers à l’appel des amis de la ferme.

Les compagnons s’emparèrent des quatre plus grosses, et après les avoir traînées sous le bosquet, il les tuèrent et allèrent les porter, par le chemin d’où ils étaient venus, à une assez grande distance, car il s’écoula beaucoup de temps durant ce voyage.