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jacques et marie

en se tordant dans la douleur, ces enfants se mirent tous ensemble à chanter… Et ces chants n’étaient pas sur leurs lèvres une bravade jetée à leurs bourreaux, un mépris et une insulte impie lancée à leur infortune : c’était un acte de foi, une prière, une expression consolante de leur courage qu’ils adressaient aux âmes faibles qui succombaient en les voyant passer. Ils chantaient les hymnes qu’ils avaient appris en servant à l’autel leur vénérable pasteur : accents d’espérances, cris résignés de la souffrance chrétienne, saintes harmonies de l’Église militante, ces couplets naissaient naturellement sur leurs lèvres, à cette heure de déchirement où on ne leur laissait plus rien à aimer sur la terre que leur malheur, où il leur était interdit de faire entendre un seul mot de pitié à ceux qu’ils laissaient en arrière… Les soldats ne firent pas taire ces supplications qui semblaient ne s’adresser qu’à Dieu ; et ce chœur de voix à l’unisson, poussé par toutes ces fortes poitrines, domina longtemps tous les bruits, tous les commandements ; les anciens et les mères en furent consolés et ravis, les Anglais l’écoutèrent avec étonnement, et il alla apprendre aux échos lointains des forêts, qui devaient rester longtemps silencieuses, l’agonie de cette jeune nation. Le chant funèbre ne cessa d’être entendu que lorsque les flancs des navires eurent reçu cette première cargaison de martyrs.

On en remplit un, puis deux, et ce qui resta fut mis sur un troisième…

Les maîtres, après cela, se trouvèrent satisfaits. C’était pour eux une rude besogne accomplie : ils avaient enfermé les forts, il ne leur restait plus que l’embarras des faibles.

Les vieillards reçurent aussitôt l’ordre de partir. Ce fut le même spectacle navrant ; les mêmes scènes de douleur les accompagnèrent ; seulement, leur marche fut plus silencieuse : il ne leur restait pas assez de voix pour chanter, ils se contentèrent de prier en silence. Ils s’avançaient lentement, courbés par l’âge et le chagrin, comptant leurs derniers pas sur cette terre qu’ils avaient rendu bienfaisante. Plusieurs allèrent tête nue, comme s’ils se fussent crus sur le chemin du calvaire ; patriarches pieux, ils saluaient l’heureux berceau qu’ils avaient préparé à ces générations venues comme une bénédiction du ciel et qu’on allait maintenant livrer, comme une mauvaise semence, aux caprices des vents et de la mer ; ils montraient aux petits, à leurs filles et à leurs vieilles compagnes qui allaient les suivre, leurs fronts résignés et sans souillure, leurs beaux cheveux blancs, pour leur enseigner encore comment on s’achemine sur le chemin de l’infortune quand on y est conduit par le respect de son devoir et de sa conscience. Ces pauvres