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souvenir d’un peuple dispersé

au moins qu’en lui jurant ma foi de fiancée, j’étais prête aussi à remplir tous mes serments d’épouse !… Je veux le suivre jusque dans la mort.

— Mais cela n’est pas bien, retirez-vous, c’est un crime !…

— Un crime !… vous appelez cela un crime, vous !… vous vous y connaissez ! Non, non, vous m’en avez fait un devoir en ne me laissant que cette voie pour regagner son estime et lui montrer mon innocence !… Si c’est un crime, eh ! bien, il n’appartient qu’à votre conscience, et vous le porterez !…

En lançant ces dernières paroles, Marie écarta de la main les fusils que les soldats tenaient toujours dirigés sur Jacques, et elle se trouva pressée entre les armes et lui.

— Jacques, lui dit-elle avec une douceur angélique, je t’avais voué ma vie… je te l’apporte… Ce n’est pas le temps de me disculper ; j’avais demandé à cet homme de le faire, lui qui m’avait, par un mensonge, attiré ta disgrâce ; il ne l’a pas voulu… Je viens te redemander ton estime, à cette heure, avec mon sang !… Jacques, tu as cru avoir des motifs suffisants pour me repousser à ton arrivée, pour douter de ma parole, pour briser des liens qui nous unissaient ; moi, je n’en aurai jamais pour accepter la séparation de nos deux cœurs, pour te tenir libre de tes engagements. Je t’avais promis d’être à toi le jour de ton retour… me voici !… Regarde, j’ai mes habits de noce, je suis prête à monter à l’autel. Aujourd’hui, tu ne peux me repousser, tu as les mains liées, et si ton cœur veut me rejeter encore, ton sang, lui, sera moins cruel ; il coulera dans le mien, nous serons mariés dans la mort !… et Dieu, qui a compté toutes nos larmes et qui a lu toutes nos pensées, bénira notre union, là-haut ! Jacques, là-haut ! Maintenant, ajouta-t-elle en se retournant du côté du lieutenant, commandez à vos hommes !…

Puis elle s’attacha éperdument à la poitrine de son fiancé. Jacques laissa courber sa tête vers la sienne, et elles s’unirent pour l’éternité… Il était suffoqué, il ne put articuler que ce mot : « Marie ! »…

L’ange qu’il avait appelé pour embellir sa mort était venu…

Les soldats, frappés de stupeur devant cette jeune fille toute rayonnante de beauté dans l’éclat de ses blancs tissus, restaient toujours là, l’arme en joue, la main tremblante, attendant un commandement. Ils n’avaient rien compris aux paroles de Marie ; mais son action puissante et les rayons de grâce qui s’échappaient de sa figure subjuguaient ces natures vulgaires : il y a des moments où les tigres ont des larmes… les soldats de Georges pleuraient… Et, lui, les bras croisés, le regard voilé, il regardait avec extase ce tableau d’amour sublime… Ah ! il ne sentait plus de haîne, ni de