Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
jacques et marie

rendre à ce malheureux un peu du bonheur qu’il lui avait ravi. Mais les paroles de mépris et les accusations qu’il venait d’entendre lui otèrent tout sentiment de pitié et de justice. D’un autre côté, il était exaspéré de servir toujours d’instrument aux barbaries de l’Angleterre. Repoussé de ceux qu’il aimait, complice apparent de ceux qu’il détestait, serviteur d’une mauvaise cause, en butte à des soupçons humiliants, s’abhorrant lui-même, il se sentait gagné par les fureurs de la rage ; il était prêt à commettre des actes de folie, à se précipiter sur quelqu’un, frapper partout, sur Jacques, sur ses voisins, sur lui-même. Et, chose étonnante ! dans son aveuglement, indigné qu’il était d’entendre des paroles si outrageantes tomber sur celle qu’il savait être innocente et qu’il avait lui-même respectée jusque dans ses pensées, il fut sur le point d’accorder à la fiancée, dans sa colère, une justification qu’il venait de lui refuser dans sa jalousie. Mais Winslow ne lui en laissa pas le temps ; il comprit, aux paroles de Jacques et à la figure tourmentée du lieutenant, que le procès allait prendre des développements tout à fait inutiles à l’intérêt du tribunal et du gouvernement, et il ordonna aux gardes de reconduire le prisonnier dans son cachot.


XXI

En se retrouvant dans les ténèbres et le silence, Jacques éprouva quelque satisfaction d’être délivré de la présence de ces hommes détestés, dont la vue apportait toujours le trouble dans son âme, en soulevant l’orage assoupi de ses passions.

— Il me reste au moins une pensée consolante, se dit-il, après s’être remis un peu de ses émotions ; je vais être bientôt délivré de l’étreinte de ces monstres ; la mort va me tirer de ce trou, va briser ces fers !… C’est demain le 9 septembre, c’est le dernier de mes tristes jours !…

Puis il se mit à réfléchir profondément sur cet acte final du drame de sa vie.

Un jour !… c’était bien peu pour oublier tout le mal que les hommes lui avaient fait, et pour se préparer à mourir comme le Christ a enseigné aux hommes à le faire ; pour se disposer seul, sans le secours du prêtre, sans les consolations de la religion, à prononcer les paroles d’adieu, mais surtout celles du pardon… Mais en se rappelant les promesses de celui qui fut le précepteur et le modèle, et qui a dit : « Bienheureux ceux qui souffrent, bienheu-