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souvenir d’un peuple dispersé

Jacques avait écouté sans sourciller et même, avec une apparence de satisfaction, les premiers mots de sa sentence ; mais quand il entendit nommer le lieu de son exécution par celui qu’il regardait comme son rival triomphant, il sentit l’indignation monter violemment à son front :

— Solliciter quelque chose ?… vous implorer ?…s’écria-t-il, et que vous demanderais-je que vous voudriez m’accorder ?… Non, ce désir de votre tribunal n’est qu’une hypocrisie ; vous voulez me laisser encore une occasion d’accomplir quelque lâcheté… vous désirez voir si cette sentence ne produira pas quelque faiblesse dans mon âme. Vous attendez des révélations… des aveux perfides… Eh bien ! détrompez-vous, si vous avez cru que les raffinements de cruauté dont vous allez entourer ma mort pourraient ébranler mes résolutions. M. Gordon, j’étais tenté de vous remercier en apprenant que le tribunal fixait un jour si proche pour mon exécution ; je vous attribuais le mérite de cette prompte délivrance, parce qu’il me semblait que vous étiez le plus intéressé à me rendre ce service. Mais en appréciant les dispositions toutes particulières que vous avez prises pour rendre ma mort pénible et qui ont un cachet de malice trop individuelle pour être attribuées à d’autres qu’à vous, je ne puis vous regarder que comme le plus lâche des hommes. Qu’avez-vous donc fait à ces Landry, pour qu’ils aient pu croire à votre générosité ?… Comment donc avez-vous pu cacher assez votre âme pour qu’ils aient consenti à s’avilir jusqu’à accepter votre amitié ? Il ne suffisait pas à votre gouvernement de me tuer, vous avez voulu empoisonner mes derniers moments !… Mettre de l’amertume, de la haine, du désespoir dans le cœur d’un mourant, c’est vil, cela, c’est d’une bassesse infernale ! Vous avez cru qu’il me serait trop doux de mourir à l’écart, au milieu des ténèbres, dans l’oubli… de mourir sans souvenirs !… et vous avez décidé de me frapper devant cette maison où mes parents m’ont enseigné leurs vertus, que ma fiancée a reçue comme votre butin avec vos autres faveurs, qu’elle habite… où elle vous reçoit… et où vous irez peut-être vous établir avec elle !… avec elle… si vous croyez ne l’avoir pas trop déshonorée !…

George s’était lové, hors de patience, mais comme lié et torturé par les passions contraires qui se heurtaient en lui-même. Il était aveuglé, étourdi par cette situation fatale où l’avaient jeté ses liaisons, ses inconséquences et les actes honteux de son gouvernement, où il s’enchevêtrait toujours plus quand il espérait en sortir.

Dans le premier moment de l’interrogatoire, les sentiments élevés de Jacques avaient conquis son estime, et il s’était senti disposé à