Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
jacques et marie

tous nos biens plutôt que de commettre ce crime contre nature. Où est la trahison ?… chez nous, qui n’étions pas citoyens anglais, puisque nous n’étions pas liés par le pacte du serment ? ou chez vous, qui, après nous avoir laissé jouir pendant quarante ans de droits conférés par un des représentants de votre roi, vouliez les violer, et nous forcer de manquer aux devoirs sacrés qui nous liaient à notre ancienne patrie ? Chassés par votre injustice, accueillis sous le drapeau de la France, nous devions l’offrande de notre vie au pays qui nous donnait sa protection ; aussi, quand la guerre s’est élevée entre nous, je n’ai pas balancé, j’ai offert mes services à la nation qui était seule la mienne à tous les titres ; et celle-là seule aurait eu le droit de m’appeler traître si je lui eusse refusé le soutien de mon bras. Ah ! je suis fier de l’avouer, et c’est aujourd’hui ma seule consolation, je n’ai senti d’autres désirs que celui de vous chasser de cette terre aimée que vous m’aviez ravie : la fortune a voulu que tous mes efforts fussent perdus…Eh bien ! si le malheur de faillir dans sa tâche était un crime, celui-ci serait le plus grand qu’il me resterait à déplorer !… Quand vous m’avez arrêté, encore une fois, je venais, non pas avec la conscience d’un sujet révolté, mais avec les convictions d’un homme devenu libre par les actes de votre mauvaise foi, par votre infidélité à vos engagements ; je venais organiser la résistance, essayer d’arracher mes concitoyens au sort affreux que je pressentais, soustraire au moins à votre tyrannie quelques êtres qui m’étaient restés plus chers… Mais il était trop tard !… vous aviez consommé votre œuvre par un infâme guet-apens ; et ceux en qui j’avais le plus espéré s’étaient avilis !… Maintenant, je n’attends plus que ma sentence…

— Nous allons vous la lire, dit George en prenant devant Winslow le papier sur lequel elle était écrite en anglais ; il la traduisit ainsi :

« Jacques Hébert, vous êtes condamné à être fusillé, le neuvième jour de ce présent mois, à 9 heures du soir, sur la ferme de la nommée Marie Landry.

« La justice de notre Roi veut que cette terre qui vous a vu naître et qui vous a nourri, boive votre sang coupable.

« La justice de notre Roi, pour inspirer une crainte salutaire à tous ceux qui seraient tentés d’imiter votre exemple, veut encore que votre corps soit jeté à la rivière avec un boulet attaché au cou, afin que personne ne puisse lui donner une sépulture chrétienne. »

— Maintenant, le tribunal désire savoir si vous avez quelque chose à lui demander, quelques aveux à faire…