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souvenir d’un peuple dispersé

— Mais vous oubliez qu’il y a des moyens plus effectifs que de simples questions, pour contraindre les criminels de répondre… Il y a aussi des genres de mort qui punissent davantage ceux qui refusent de parler… un homme a sans doute la faculté de se taire, mais il a aussi celle de souffrir…

— Je vous comprends : vous me menacez de la torture, pour me faire dire des choses qui ne peuvent ni m’incriminer davantage ni me disculper à vos yeux ; vous voulez des révélations qui ne peuvent compromettre que des gens que vous n’avez pas à juger et qui ne relèveront pas de longtemps de votre tribunal, je l’espère ; eh ! bien, je ne suis pas plus un déserteur qu’un espion ; vous ne délierez pas plus ma langue avec des menaces qu’avec des promesses ; essayez des moyens que vous croyez dignes de votre humanité ; après ceux dont vous avez fait usage pour vous délivrer d’une population inoffensive, je ne suis pas enclin à embellir d’avance mon supplice. Je m’attends à tout.

Ici les trois juges se consultèrent à voix basse durant quelques instants, après quoi l’interprète reprit la parole :

— Jacques Hébert, vous êtes un traître à la nation anglaise ; vous avez répandu le sang de vos concitoyens, et vous avez été arrêté sur le territoire anglais au moment où vous veniez, comme un conspirateur, organiser la révolte des sujets britanniques. Vous êtes coupable du crime de haute trahison… Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?

— Rien… pour me sauver de la mort… J’affirme seulement, devant votre tribunal et devant Dieu, que je ne me reconnais pas coupable de trahison contre mon pays, ni de conspiration contre l’autorité de mon gouvernement ; je ne suis ici qu’un ennemi malheureux. Il y a près de six ans, je partis avec mon père ; il allait s’établir sur une terre qu’il croyait appartenir à la France ; j’étais alors un enfant mineur, j’obéissais à l’autorité paternelle. Nous quittions, d’ailleurs, un pays qui, aux termes de toutes nos conventions, était indépendant de l’autorité de votre roi. Nous le quittions à cause des empiétements injustes que vos gouverneurs prenaient sur nos droits prescrits et légitimes, nous fuyions pour nous soustraire à des actes tyranniques de tous les jours, et pour ne pas prêter des serments qu’aucune nation ne peut exiger d’un peuple auquel elle a reconnu les prérogatives de neutres. En vous jurant notre allégeance, nous devenions également traîtres à la France ; nous ne l’avons pas voulu, car de ce côté se trouvait, de plus, notre sang ; c’eût été non-seulement une trahison, mais encore une profanation qui répugnait à tous nos sentiments ; nous avons préféré sacrifier