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jacques et marie

charmes de la nature ; quand on a cherché l’éclat des actions méritoires, l’estime que doit apporter une carrière toute de dévouement, les couronnes d’une noble gloire !

Quelles sombres réflexions durent inspirer à Jacques cette solitude effrayante, cet abandon universel !… Il ne pouvait ignorer le sort qu’on lui réservait, et il l’envisageait avec tout le courage d’un grand cœur et d’un homme de foi : la mort devait être le moindre de ses maux. Il y était préparé ; il avait assez d’injustices à pardonner, de douleurs à offrir, et sa vie, d’ailleurs, était assez pure pour former un beau sacrifice d’expiation à son Créateur ; il craignait seulement qu’on lui rendît cette expiation trop ignominieuse, il appréhendait les révoltes de son caractère aigri par tant de déceptions amères ; il avait peur qu’on le laissât languir dans ce trou fétide, où les miasmes des plantes pourries, en lui donnant la sensation de l’asphyxie, lui faisaient éprouver davantage ce mépris accablant que jetaient à son impuissance des vainqueurs sans entrailles. Il redoutait qu’on le laissât tomber dans cette rage hideuse de la faim et que son agonie ne fût qu’un affreux désespoir. Il appela donc de tous ses désirs le jour de l’exécution ; il demanda au ciel comme un bienfait de mourir par les armes, sous des regards humains, en regardant encore son village.

Dieu ne voulut pas lui refuser cette unique consolation.


XX

Winslow et ses aides-de-camp pouvaient enfin jouir de quelques loisirs. Bien que l’époque de l’expatriation eût été avancée, et que les préparatifs nécessaires à cette opération entraînassent encore beaucoup de travail, cependant il y avait loin de là à l’arrestation en masse de toute une population. Le conseil militaire songea donc un instant au prisonnier du presbytère, et il décida de lui faire un simulacre de procès, non pas tant pour montrer qu’il voulait lui accorder quelque justice (on ne tenait guère plus à l’apparence qu’à la chose), que pour lui arracher certains aveux utiles sur la position, les mouvements et les projets des Français de l’autre côté de la baie. Le soir même du 8 septembre, les sentinelles reçurent donc l’ordre d’amener Jacques devant un tribunal provisoire constitué pour la circonstance.

Jacques était en prières, à genoux au-dessous de la trappe de chêne, lorsqu’il entendit un bruit inusité de pas se produire sur sa