Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
souvenir d’un peuple dispersé

dans les villages voisins ; quelques-uns avaient le pas appesanti par l’âge, et le temps qu’on leur donnait pour le dépenser en soins précieux, en conseils, en caresses, en larmes d’amour, ils en perdirent beaucoup, sur le chemin. Ceux-là n’eurent pas trop d’un jour…

Le père Landry avait déjà joui de son congé d’absence ; il ne voulut pas profiter du droit d’élection que lui donnait ses années. Quant à Jacques, comme il était enfermé à part, personne ne songea à lui. D’ailleurs, il n’avait plus de proches parents dans le pays, et il était classé dans une catégorie de criminels qui ne pouvaient attendre de faveurs.


XIX

Deux jours s’étaient écoulés depuis qu’il languissait dans son cachot, mais il n’avait pu les compter ; dans l’obscurité complète où il se trouvait plongé, il croyait que c’était une longue nuit qui passait, 11 entendait toujours les pas pesants et réguliers des soldats qui marchaient au-dessus de lui, et c’était les seules sensations qu’il recevait du monde extérieur.

Aussitôt après son incarcération, la fatigue, l’épuisement, le poids de ses fers, l’accablement de son âme l’avaient couché sur la terre de sa prison, et un sommeil dont il ne put calculer la durée s’appesantit sur lui. Il n’en sortit que lorsqu’une main invisible lui jeta sur la tête, par la trappe de son plafond, une cruche remplie d’eau et un morceau de pain. La même main lui renouvela cette portion après un espace de temps qui lui parut bien long. Comme la lueur d’une lampe éclairait seule, dans ce moment, la pièce supérieure, et qu’on ouvrait la porte tout juste assez longtemps pour jeter le morceau, il ne put voir celui qui lui servait ainsi sa curée, ni constater le passage des jours.

Rien, peut-être, n’anéantit l’homme comme la privation complète des rayons de cette lumière qui vivifie, qui embellit tout dans la nature, et qui, dans l’absence de toutes les autres jouissances de la vie, sert au moins à compter les heures qui passent sur sa tête et le conduisent à la délivrance. Cette existence de sépulcre qui étiole les plantes, qui pâlit les fleurs, fait encore entrer ses ombres jusque dans l’intelligence humaine. Et avec ces ténèbres, l’oubli, le silence, le mépris !… oh ! que cela fait horreur aux abords du trépas, quand on a tant aimé la vie, l’affection des autres, les