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la gloire de son propre règne que celle du règne de Dieu. Lui, il n’attendait sa couronne que du ciel ; il avait méprisé, une fois pour toutes, celles qui se donnent sur la terre.

Rendre sa vie utile à la vigne du Seigneur, voilà ce qui devint son but unique et son occupation constante ; cela comprenait en même temps tous les devoirs qui obligent l’homme envers la société. Il étudiait soigneusement tout ce qu’il voulait entreprendre ; après avoir raisonné ses projets, il examinait encore si l’esprit d’égoïsme ne lui avait pas voilé, par des sophismes insinuants, la recherche de son propre intérêt et de son seul plaisir, sous l’apparence de l’intérêt de sa paroisse ; on est si ingénieux à se faire illusion sur les véritables motifs de ses œuvres !

Cette volonté ferme de faire le bien, embrasée par la charité chrétienne, secondé par une vigilance toujours éveillée, par une régularité constante et une direction unique dans les actions de la vie, et surtout par cette humilité qui déroute toutes les jalousies et les ambitions du monde et s’associe à tout ce qui mène au succès, sans s’occuper de savoir qui en recueillera la gloire, peuvent rendre une vie bien féconde sur la terre, même celle d’une intelligence comparativement médiocre. Dieu n’a pas voulu qu’il fût nécessaire d’avoir un grand esprit pour arriver à l’héroïsme du bien : il suffit d’avoir un grand cœur, La vertu, cette gloire pure de la terre, la seule qui, dans les prévisions de la sagesse antique et dans les dogmes du christianisme, mérite des félicités éternelles, est accessible à tout le monde.

Aussi, le curé de Grand-Pré put-il, en peu d’années, accomplir des travaux considérables et rendre des services éminents à ses paroissiens. Non-seulement il donnait l’instruction religieuse, mais il avait formé des maîtres qui, sous sa direction, enseignaient par toute la bourgade les choses nécessaires dans les conditions sociales où se trouvaient les Acadicns ; pour lui, il se réservait le plaisir de développer les intelligences d’élite, afin de préparer à Grand-Pré un noyau de population mieux cultivé, qui pourrait, plus tard, éclairer et diriger ce petit peuple. Jacques et Marie avaient fait partie de ce choix. Il s’appliquait surtout dans ses leçons à faire aimer tout ce qui rend le commerce de la vie facile et agréable : la sincérité dans les paroles, la droiture dans la conduite et cette urbanité dans les manières qui ont suivi partout les Acadiens dans l’exil et sont restées dans eux comme un cachet de famille au milieu des populations parmi lesquelles on a essayé de les absorber.

Comme il représentait dans le pays l’unique autorité bien définie et en qui l’on eût quelque confiance, les habitants ne s’a-