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souvenir d’un peuple dispersé

s’accusait d’avoir prononcé quelques paroles regrettables dans un moment d’humeur, en voulant réconcilier deux de ses paroissiens : « Quelle autorité pourront avoir mes paroles sur les autres, si je prouve à tout instant que ma sagesse est impuissante à régler mes propres actions ?… Comment pourrai-je persuader à ceux que je prêche qu’ils peuvent dominer leurs passions, si je me laisse vaincre à leurs yeux par les miennes ?… Moi, le ministre de Dieu, qui habite dans son temple, qui sacrifie sur son autel, qu’il a choisi pour distribuer ses grâces et enseigner ses perfections, qu’il a consacré… pourrai-je jamais, sans rougir, reprocher à ces pauvres gens des fautes dont ils ne mesurent pas la gravité, s’ils peuvent me répondre : Vous qui êtes plus coupable, pourquoi jetez-vous sur nous la pierre ?… Ah ! on est un bien misérable apôtre quand on n’a plus que cette prédication à faire : Faites ce que je vous enseigne, mais évitez ce que je fais… Il faut me corriger. Mon Dieu, je promets de retrancher de moi tout ce qui est incompatible avec le caractère d’un ministre de votre culte. »

Il tint parole à Dieu et à lui-même, et quoiqu’il n’eût que peu de choses à se reprocher, il crut devoir en demander pardon à sa paroisse dans une circonstance particulière où il avait à signaler quelques désordres. Il voulut, avant d’exiger des coupables la réparation du scandale qu’ils avaient donné, s’humilier le premier de ses fautes passées.

Depuis lors, il acquit cet empire divin et tout-puissant que donnent la douceur et l’humilité. Victorieux sur lui-même, il le fut facilement sur les autres. Le plus rude combat est celui qu’on livre à ses passions. Cependant, jamais on ne l’entendit réprimander amèrement ceux qui, dans l’entraînement de leurs passions, s’étaient gravement oubliés, ce qui, d’ailleurs, était très-rare ; il priait alors les fidèles de ne pas imiter ces mauvais exemples, et sans publier le mal, il attirait la pitié sur les coupables ; il cherchait lui-même à les voir, comme on va près des malades, et il leur disait : « Mes amis, pourquoi voulez-vous vous séparer de Dieu et des gens de bien ? »… Jamais, surtout, on ne l’entendit leur faire un plus grand crime de leur mauvaise conduite parce qu’elle lui avait fait de la peine, ou qu’elle était une injure à l’autorité de ses paroles : il comprenait trop que le bien ne se commande pas aux hommes pour les hommes, mais pour lui-même, et pour Dieu qui est son essence, et qui peut seul le récompenser ; que c’est le rabaisser, le rendre impuissant ou hypocrite que de ne lui offrir pour but que le bon plaisir d’un individu, serait-il un bienfaiteur de l’humanité. Il aurait craint de faire croire qu’il cherchait dans la conduite de ses paroissiens plutôt.