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souvenir d’un peuple dispersé

œil venir les Landry, mais il feignit d’être absorbé par les préoccupations de son service.

Douze hommes armés faisaient la ronde autour de l’église, outre les sentinelles qui gardaient les portes. En voyant approcher Marie et son père, sans escorte, ils ne parurent pas comprendre ce que venaient faire cet homme et cette femme, et ils se hâtèrent de les croiser au passage.

— Halte-là ! dit l’un d’eux, que voulez-vous ?…

Marie répondit : — Mon père veut rentrer en prison.

— Nous n’avons pas plus d’ordre pour laisser entrer que pour laisser sortir ; il faut un permis du lieutenant.

— Un permis pour se constituer prisonnier !… dit en elle-même Marie, voilà qui n’est pas naturel dans ce moment… N’y aurait-il pas dans cette disposition quelques vues secrètes du lieutenant ?… peut-être un remords ?… il aura peut-être voulu se ménager par ce moyen une entrevue de conciliation, qu’il lui aurait été pénible de solliciter, après la scène de la maison. Avec un caractère semblable à celui de George, un pareil revirement est dans l’ordre des choses possibles ; chez lui la générosité doit finir par triompher de l’orgueil et de la jalousie. Ces suppositions firent tressaillir Marie tour à tour d’espérance et de crainte. Il fallait de toute nécessité aller au presbytère, se trouver de nouveau face à face avec l’officier ; cela lui répugnait horriblement ; mais en y allant, elle devait passer sur le plancher qui cachait la captivité de Jacques, et l’idée de se sentir si près de son fiancé l’entraînait malgré elle ; peut-être entendrait-il sa voix… peut-être pourrait-elle jeter quelques paroles qui lui feraient comprendre sa situation ; — comme les mourants, les captifs ont l’oreille au guet et l’ouïe sensible ; — peut-être, encore une fois (et c’était l’idée dominante de Marie), que George, revenu bien vite à des sentiments plus conformes à sa nature, lui accorderait la grâce de se réhabiliter près du prisonnier…

C’est en faisant ces calculs de probabilité, dont les amants ont surtout l’esprit d’invention, que Marie joignit, avec son père, le porche qui servait d’entrée à la demeure de l’ancien curé. Pierriche les reçut à la porte et les fit entrer dans le salon, qui se trouvait vide dans ce moment : George s’était retiré dans sa chambre.

Le garçon se disposait déjà à faire quelques questions indiscrètes, mais le père Landry lui dit de suite :

— Vas demander à M. le lieutenant s’il veut bien me donner la permission de retourner en prison.