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de douleur passive qu’elle avait gardée jusque là ; l’humiliation que sa lettre lui avait fait subir ulcérait encore son cœur, malgré les paroles de baume de Marie ; sa fierté en avait profondément souffert. Cependant, il sentait qu’il expiait une faute, un tort envers cette fille admirable, et il en avait enduré dignement le châtiment : la noble indignation manifestée devant lui par les Landry contre sa nation ne l’avait pas outragé ; il comprenait qu’elle était méritée. Mais aller s’immoler devant ce Jacques, qui lui ravissait un être adoré, qui lui avait occasionné cette honte sous les yeux de Marie ; s’avouer vaincu devant ce paysan brutal, devant ce meurtrier de son frère, qui avait osé porter la main sur lui, cela le révoltait, et il dit avec fermeté :

— C’est moi que vous voulez charger de ce message étrange ?

— C’est vous, monsieur, parce que j’ài une confiance absolue dans votre générosité, parce que vous êtes le seul qui puissiez approcher de Jacques, et surtout, parce qu’il ne convient qu’à vous d’expliquer les rapports qui ont existé entre nous, et la portée réelle de votre lettre.

— C’est donc une confession que vous voulez que j’aille faire à votre ami ; je vous avouerai que je crois encore faiblement à la nécessité et à l’efficacité de cette institution.

— Ce n’est pas une confession, c’est un service d’ami, c’est un bienfait, c’est un acte de probité, compatible avec toutes les croyances et avec toutes les dignités, qu’une femme vous demande avec des larmes ; et je ne pense pas qu’un homme juste, qu’un prétendu catholique puisse appeler cela du nom de confession pour se donner l’avantage de le refuser avec mépris ; s’il en était ainsi, je croirais, moi, avoir le droit d’appeler cet homme un hypocrite… Ce n’est pas l’opinion que nous avons de vous, monsieur.

— Pardon, mademoiselle, j’avoue que j’ai eu tort de m’exprimer ainsi. Ce’que vous voulez, donc, c’est que j’aille m’humilier devant ce traître, devant ce rival forcené, cet amant extraordinaire, qui, après être resté absent pendant cinq ans, sans donner signe de vie, sans songer à sécher les larmes qui coulaient ici pour lui, et à soulager, au moins par un message, les inquiétudes constantes d’une fiancée, se croit autorisé, par dix lignes de gaieté trouvées dans la poche d’un étranger, à vous soupçonner de tous les crimes, et à vous traiter, en arrivant, comme une épouse infidèle et perdue… Vous voulez que je m’abaisse à parler à ce transfuge qui vient, les mains pleines du sang de mon frère, briser mon bonheur, enlever brutalement de mon cœur l’idole pure que j’entourais depuis deux ans du culte le plus vrai, le plus constant ; que j’encensais, dans le