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souvenir d’un peuple dispersé

rappelez-vous ?… je vous disais, comme une enfant que j’étais, que mes oiseaux n’étaient jamais revenus ; et vous me répondiez ; « Ma Marie… les garçons, ça revient, ça se souvient toujours »… C’était le jour du second départ, celui-là ; aujourd’hui, c’est le troisième… Mais, ajouta-t-elle, en s’apercevant que les larmes de son père inondaient son front, je vois que je vous fais pleurer ; vous aviez pourtant assez de peine ; pauvre père, je ne veux plus vous causer de chagrin, comme cela ; — et, après l’avoir embrassé, elle reprit dans ses bras son inutile fardeau, ajoutant tout haut mais comme par irréflexion :

— Voyons, mettons toujours ceci de côté ; on pourra peut-être encore s’en servir… ici…

Son père, en l’entendant, la regarda s’éloigner avec étonnement : mais dans le même moment, une main frappa quelques coups à la porte, qui s’ouvrit presqu’aussitôt, et George demanda, avec douceur et même avec timidité, s’il pouvait entrer. En l’apercevant, Marie sentit le besoin de rencontrer le sein de sa mère pour s’y appuyer ; et elle murmura de ses lèvres glacées :

— Quoi ! c’est lui !… c’est lui, mon Dieu !…

Son père s’était levé pour aller au-devant de l’officier, et sans lui présenter la main, il lui dit, cependant, avec beaucoup de déférence :

— Entrez, monsieur, entrez, asseyez-vous ; vous en avez plus que la permission ; vous êtes maintenant chez vous, ici…

— Comment ! dit George, en prenant avec empressement les mains du vieillard, vous auriez été favorable à la demande de Mlle Marie ! Ah ! merci, j’en suis si heureux !… Vous êtes tous sauvés, et il est inutile que vous vous donniez la peine et la fatigue de ce bouleversement, puisque nous devons rester tous ensemble !

En entendant ces derniers mots, la mère Landry tomba à genoux, joignit les mains comme pour remercier le ciel. Mais le père resta stupéfait, regardant tour à tour le lieutenant et sa fille :

— Pardon, monsieur, dit-il, mais je ne vous comprends pas : ma fille ne m’a pas encore fait part des engagements qu’elle a pris avec vous… Vous vous méprenez sur le sens de mes paroles ; je voulais dire que cette maison m’ayant été enlevée par votre gouvernement, vous aviez désormais, plus que moi-même, le droit de vous y assoir ; Je suis ici, maintenant, votre obligé…

Marie, qui ne s’attendait guère à une pareille entrée en matière, blessée au cœur par le sentiment de reproche que renfermait les paroles de son père, se hâta d’intervenir.

— C’est à moi, dit-elle, d’expliquer la cause de la méprise de M.