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jacques et marie

que cet autre vint, à présent, tout gâter, faire le sabat… battre mamselle Marie, étrangler M. George !… Ah ! mais…

— Eh bien ! quoi, mais ?…

— Eh bien ! c’est lui qui est arrivé et qui a tué le frère de not’lieutenant ! Je l’ai vu, moi.

— En v’la un secret, une nouvelle ! C’est-ti tout ce que tu sais, ça ? Mais t’es bête, P’tit-Pierre ; j’y étions, j’avons tout vu, tout entendu ; c’est nous qui avions ramassé mamselle Marie ; je l’savions ben avant toi.

— Mais c’est pas fini ; c’est que j’étais pour vous dire qu’il en avait tué bien d’autres ; et ça ne leur a pas fait plaisir, comme de juste ; c’est pourquoi le Jacques va s’en repentir… Il ne s’en repentira pas, parce qu’il va se faire fusiller.

— Fusiller !…

— Oui, fusiller, le 9, à neuf heures du soir ; et pour que ça lui fasse plus de chagrin, que ça lui donne plus de contrition d’avoir tué des Anglais, ils vont le faire mourir devant l’ancienne maison de son père L’avez-vous bien vu ?… en a-t-il un air de sauvage !… Mais il faut que je me hâte ; j’étais si fort pressé de venir ici que j’ai oublié de dire à c’te pauvre mère de n’pas avoir peur ; elle craint tant les fusils et les soldats, à présent. M. George m’a dit pourtant qu’il y serait, pour commander la fusillade ; mais ça n’fait rien… elle aura peur. Bonsoir ! — Et sans attendre d’autres questions, le garçon disparut dans la direction de la ferme de Marie.

À peine la poussière de ses pas était-elle retombée sur la terre qu’une des femmes se répandait déjà dans le voisinage, semant partout sa nouvelle sinistre ; l’autre était rentrée chez les Landry pour leur apprendre discrètement un événement qui devait les intéresser si fort.

Mais Marie venait de s’assoupir doucement dans les bras de là bergère séculaire ; le père et la mère préludaient tous deux à un faible repas qu’ils tenaient sur leurs genoux, au coin du feu. Ils regardaient toujours leur fille, leur amour, leur adoration ; ils tremblaient qu’un souffle ne l’éveillât. La commère fut invitée à prendre un morceau, ce qui lui permit d’attendre une occasion favorable de déposer dans l’intimité sa petite moisson de nouveautés.

Il est probable qu’elle attendit longtemps, car elle ne rentra chez elle que fort tard ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle se sentit alors le cœur soulagé et que peu d’instants après, il était bruit partout le bourg que Jacques avait mangé cent Anglais, au moins, depuis son départ, et que le diable avait dû le soigner puisqu’il