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« À Dieu ne plaise ! répondit-il, que j’abandonne un peuple dont je suis obligé d’être le père. Je lui dois et mes soins et ma vie, puisque je suis son pasteur. »

Aussitôt il assemble les curés et les supérieurs des communautés, qui s’étaient dévoués comme lui au service des pestiférés ; il leur donne ses instructions en applaudissant à leur zèle, et lui-même, le premier, intrépide, infatigable, il saura donner l’exemple du dévouement, d’un dévouement qui n’aura pas un instant non pas de défaillance mais seulement d’hésitation pendant les longs mois que dura la contagion. Pour savoir ce que fut celle-ci il faut lire ce qu’en dit le courageux pontife dans son mandement du 22 octobre 1720, dont nous détachons seulement ce passage si terriblement éloquent :

« … Sans entrer dans le secret de tant de maisons désolées par la peste et la faim, où l’on ne voyait que des morts et des mourants, où l’on n’entendait que des gémissements et des cris, où des cadavres, que l’on n’avait pu faire enlever, pourrissant depuis plusieurs jours auprès de ceux qui n’étaient pas encore morts et, souvent dans le même lit, étaient pour ces malheureux un supplice plus dur que la mort même ! Sans parler de toutes les horreurs qui n’ont pas été publiques, de quels spectacles affreux, vous et nous, pendant près de quatre mois, n’avons-nous pas été et ne sommes-nous pas encore les tristes témoins ? Nous avons vu, pourrons-nous jamais nous en souvenir sans frémir et les siècles futurs pourront-ils y ajouter foi ? nous avons vu tout à la fois toutes les rues de cette ville bordées des deux côtés de morts à demi pourris, si remplies de hardes et de meu-