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sort. » Le mariage donc ne se fit point et l’artiste eut le chagrin de voir celle qu’il aimait en épouser un autre, le comte de Gallenberg.

Ce ne fut pas encore là pourtant sa plus grande douleur : elle lui vint de l’infirmité, cruelle surtout pour un musicien, dont il avait ressenti les premières atteintes dès l’année 1798, et qui fit des progrès trop rapides. Car, par une lettre de Beethoven à Wegeler, sous la date du 29 juin 1800, on voit que sa surdité avait pris un caractère grave. Cependant le pauvre artiste, qui en éprouvait une sorte d’humiliation, s’efforçait de dissimuler son infirmité, favorisé en cela par la connivence inconsciente de ses amis attribuant à sa distraction habituelle ce défaut d’audition. Ries, son élève, fut deux ans avant de s’en apercevoir. Un jour qu’il se promenait avec Beethoven, en traversant un bois, il entendit les sons d’une flûte dont un berger jouait non sans talent. Ravi de cette mélodie champêtre, Ries se tourna vers le maître pour lui demander ce qu’il en pensait, mais quelle ne fut pas sa surprise quand Beethoven, après avoir prêté attentivement l’oreille, lui dit avec un accent douloureux qu’il n’entendait rien, rien… Tout le reste de la promenade, il fut silencieux et Ries fit de vains efforts pour l’arracher à sa pénible préoccupation.

Tous les remèdes ordinaires épuisés, et la médecine avouant presque son impuissance, l’illustre maëstro dut s’affermir de plus en plus dans cette conviction désolante pour lui que son mal était incurable. Ce qu’il souffrit alors, lui-même nous l’apprend par la peinture qu’il a faite de son état, dans une espèce de testament,