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sourds et muets lui auront fait trouver grâce devant Celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi et surtout le Dieu de charité : Deus caritas est. »

Mais précisément on a plus de peine à comprendre que l’abbé de l’Épée, à cette époque de sa vie, parut incliner vers les doctrines outrées du jansénisme, alors que sa piété douce, facile, aimable, ne trahissait rien des allures hautaines et intolérantes de la secte. Le bon abbé avait eu par lui-même la preuve qu’il n’est pas de prédication plus éloquente que celle de la douceur, de la charité, puisque par ces moyens seuls il avait ramené à la vérité le protestant Ulrich, venu du fond de la Suisse pour demander ses conseils, et qui, après quelques entretiens, n’avait pas hésité à abjurer l’hérésie de Calvin, quoi qu’il dût lui en coûter par la suite. En effet, après cet acte courageux, n’ayant pu retourner dans sa famille, il se trouvait à Paris presque réduit à la détresse. L’abbé, devenu son ami et qui souffrait pour le néophyte de cette situation, insistait pour qu’il acceptât, afin de s’en aider, une somme de six cents livres, dont il pouvait disposer :

« Vous m’avez enseigné, répondit généreusement Ulrich, combien est agréable au Ciel l’état de l’homme qui travaille en paix dans l’indigence et qui souffre les privations sans murmurer ; vous m’avez inculqué vos principes. Après ce don, tous les autres me seraient inutiles ; de plus nécessiteux jouiront de vos largesses. J’ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le travail : je suis riche de vos bienfaits. »

Ulrich, d’ailleurs, devait être prophète. L’abbé de l’Épée, en dépit des obstacles venant de lui-même ou