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gner la déclaration du Conseil d'État contre les Bourbons. Au retour de Louis XVIII, il se rallia aux royalistes constitutionnels et fut nommé pair. Il entra la même année (1815) dans le ministère Richelieu, avec le portefeuille de la marine; il en sortit en même temps que le duc de Richelieu (12 décembre 1818), et s'opposa de tout son pouvoir, dans la Chambre des pairs, aux mesures réactionnaires qui amenèrent la chute de Charles X. Appelé en 1830 aux affaires étrangères par Louis-Philippe, il fit reconnaître la nouvelle dynastie par les cabinets étrangers et proclama le principe de non-intervention; il se retira trois mois après, en même temps que Casimir Périer. Placé en 1836, avec le portefeuille des affaires étrangères, à la tête d'un nouveau cabinet, il signala son ministère par des mesures de conciliation et fit rendre une loi d'amnistie (8 mai 1837), mais il prêta le flanc en ordonnant l'évacuation d'Ancône et de la Belgique, et vit se former contre son administration une coalition formidable, à la tête de laquelle se placèrent MM. Guizot et Thiers; après plusieurs mois de lutte, il se décida à se retirer, le 8 mars 1839. En 1840 il fut élu, à l'unanimité moins une voix, membre de l'Académie française. Nommé en 1848 et 1849 représentant à l'Assemblée nationale, il se tint constamment dans l'ombre. Par la dignité de son caractère, par l'exquise distinction de sa personne, de ses manières et de sa parole, le comte Molé est un des hommes qui représentaient avec le plus d'honneur l'ancienne société française. Il n'a laissé qu'une fille, Mme de La Ferté, et son nom s'est éteint avec lui. Outre ses Essais, on doit à M. Molé un Éloge de Matthieu Molé et de nombreux Discours politiques et académiques. Il a laissé des Mémoires, dont la publication est annoncée. M. de Falloux, son successeur à l'Académie, a fait son Éloge dans son discours de réception (1857).

MOLÉ (François René), excellent acteur, dont le vrai nom était Molet, né à Paris en 1734, m. en 1802, débuta à la Comédie française en 1760, et ne cessa de jouer jusqu'à sa mort. Dans une aussi longue carrière il obtint toujours le plus grand succès. Il excellait dans la comédie, et principalement dans les rôles de fats et de petits maîtres, et il excita un engouement extraordinaire. Après la mort de Lekain il voulut remplacer ce grand tragique, mais il réussit moins dans ce nouveau genre. Pendant la Révolution, il n'échappa à la proscription que par une grande affectation de civisme. Molé fut de l'Institut dès sa fondation. Il a laissé d'intéressants Mémoires, publiés par Étienne en 1825.

MOLÊMES, bg de la Côte-d'Or, à 22 kil. N. O. de Châtillon-sur-Seine; 900 hab. Célèbre abbaye de Bénédictins, fondée en 1075, par Robert de Champagne. V. ROBERT (S.).

MOLFETTA, v. murée d'Italie, dans l'anc. roy. de Naples (Terre de Bari), sur l'Adriatique, à 26 kil. S. E. de Barletta; 16 000 hab. Évêché. Anc. duché, qui a appartenu aux Gonzague depuis 1536.

MOLIÈRE (J. B. POQUELIN, dit), le prince des poëtes comiques, né à Paris en 1622, était fils de J. Poquelin, tapissier-valet de chambre du roi, et était destiné à la profession de son père; mais, ayant de bonne heure conçu du goût pour les lettres, et surtout pour le théâtre, il obtint de sa famille qu'on le fit étudier. Il suivit le collége de Clermont, où il eut pour condisciples le prince de Conti, Hesnault, Chapelle et Bernier, qui restèrent ses amis, puis il reçut les leçons de Gassendi, qui lui inculqua les doctrines d'Épicure. Après avoir terminé ses études, il exerça quelque temps avec son père les fonctions de tapissier du roi, puis se fit recevoir avocat (1645); mais, entraîné par son goût pour l'art dramatique, il joua d'abord sur des théâtres particuliers, et finit par se faire comédien; il prit alors le nom de Molière, nom d'un auteur oublié aujourd'hui. De 1646 à 1658, il parcourut la province avec une troupe qu'il avait formée, jouant de petites pièces qu'il composait lui-même pour la plupart, et dont les plus remarquables sont : l’Étourdi, représenté à Lyon en 1653, et le Dépit amoureux, à Montpellier, 1654. Ce n'est qu'en 1658 qu'il vint se fixer à Paris; il y ouvrit, d'abord à la salle du Petit-Bourbon, près du Louvre, puis au Palais-Royal, un théâtre qui attira bientôt la foule; il y représenta successivement une trentaine d'ouvrages de sa composition, dans lesquels il jouait lui-même le principal rôle; presque toutes ces pièces sont des chefs-d'œuvre. Les principales sont : les Précieuses ridicules (1659); Sganarelle (1660); l'École des Maris (1661), imitée, des Adelphes de Térence; l'École des Femmes (1662); le Mariage forcé (1664), tiré de Rabelais; le Festin de Pierre (1665), imité de l'espagnol, et dont le principal personnage excita de violents murmures par son impiété; l'Amour médecin (1665); le Misanthrope (1666), comédie d'un genre sévère, dont la perfection ne fut pas appréciée dès l'origine; le Médecin malgré lui (1666); le Tartufe ou l'Imposteur (1667), satire sanglante de l'hypocrisie, contre laquelle il s'éleva une vive opposition, et qui, bien que composée dès 1664, ne put être représentée qu'après de longs délais et par la protection toute spéciale de Louis XIV; Amphitryon et l'Avare (1E68), toutes deux imitées de Plaute; Georges Dandin (1668); Monsieur de Pourceaugnac (1669); le Bourgeois gentilhomme (1670), les Fourberies de Scapin (1671); les Femmes savantes (1672); le Malade imaginaire (1673). A la 4e représentation de cette dernière pièce, Molière, dont la santé était depuis longtemps altérée, voulut jouer malgré les représentations de ses amis, de peur, disait-il, de faire perdre leur journée à tous ceux qu'il employait; mais à la fin de la pièce, au moment où il prononçait le mot juro, il fut pris d'une convulsion, et on l'emporta mourant. Il expira le 17 février 1673, à peine âgé de 51 ans. Ce ne fut pas sans peine que sa veuve obtint de l'autorité ecclésiastique la permission de le faire assister par un prêtre et de l'enterrer en terre consacrée. Ce grand homme avait eu à souffrir de l'envie; il ne fut pas non plus heureux dans son intérieur : il avait épousé en 1662 Armande Béjart (sœur d'une des actrices de sa troupe), qui était beaucoup plus jeune que lui, et dont la coquetterie empoisonna ses dernières années. Molière est le premier des comiques; aucun ne l'a surpassé, ni même égalé. A une admirable force comique, à une verve intarissable, il unit une exacte observation de mœurs qui lui permet de saisir tous les vices et tous les ridicules, un talent prodigieux pour tracer des caractères qui deviennent autant de types immortels, enfin une morale pleine d'une haute raison et d'une utilité vraiment pratique. Il a traité en vers tous les sujets qui appartenaient à la haute comédie, le Misanthrope, le Tartufe, les Femmes savantes, se contentant de la prose pour les sujets d'une importance moindre ou qui se rapprochaient de la farce, les Fourberies de Scapin, George Dandin, l’Avare, le Malade imaginaire. Sa prose a une franchise, une netteté, une précision et une vigueur remarquables; ses vers, malgré quelques négligences, sont restés le type du vrai style comique par le naturel, l'aisance du tour, l'énergie, et, au besoin, par la grâce. Le génie de Molière, malgré son incontestable supériorité, ne fut pas immédiatement apprécié par ses contemporains, ce qui a fait dire à Boileau :

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés....
Mais sitôt que d'un trait de ses fatales mains
La Parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée. (Ép. VII.)

Parmi les nombreuses éditions des Œuvres de Molière, on remarque celles de Bret, avec un commentaire trop succinct, 1773, 6 vol. in-8; d'Auger, 1819-25, 9 vol. in-8; d'Aimé Martin, 1823-26, avec un choix de tous les commentateurs, de L. Moland,