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792 GÉOGRAPHIE. — EXPLICATION DES CARTES.

Quant au pays de la Sérique ou des Sinæ, c'està-dire la Chine, il est impossible de le comprendre parmi les pays connus des Anciens, non plus que l'Indo-Chine ou la Presqu'île au delà du Gange ; car, si l'existence de ces peuples et les relations commerciales que les Romains avaient avec eux, soit par terre, soit par mer, sont un fait hors de doute et remontant certainement au temps de Pausanias qui, le premier, donne une description exacte de la culture du ver à soie, il est assuré d'autre part qu'on n'avait sur ces contrées lointaines que des renseignements très-vagues et très-imparfaits et que la seule configuration donnée par Ptolémée à la côte de l'extrême Orient interdit de penser qu'ils soupçonnassent la disposition réelle des mers et des parages de la Chine.

Afrique. Il y aplus d'incertitude pour l'Afrique. Cependant, pour ce qui regarde la côte, on sait que les Phéniciens n'avaient pas dû dépasser la pointe de Sierra-Leone (Noti Cornu est l'Ile Sherboro). Le Bambotus de Polybe, le Fleuve des crocodiles et des hippopotames, mentionné dans le Périple d'Hannon, ne saurait être que le Sénégal. Le Theôn Ochema doit être le moderne Kakulina sur la côte des Bissagos, au sud de la Gambie. Les Iles Fortunées (Canaries) étaient connues même des Romains.

Sur la côte orientale de l'Afrique, les navigateurs ne paraissent guère avoir dépassé le promontoire Prasum (cap. Pouna), entre l'Ile de Zanzibar (qui serait la Menuthias du Périple érythréen, selon M. Ch. Mùller) et l'Ile de Monfia (ou M. d'Avezac porte cette même île Menuthias), point extrême des connaissances de l'auteur de ce Périple qui était un riche marchand égyptien du port de Myos-Hormos sur la mer Rouge, sans doute au temps des Antonins. M. Vivien de Saint-Martin veut que Menuthias soit Pemba, un peu au N. de Zanzibar.

Il est impossible de passer sous silence ici le fameux passage d'Hérodote sur le voyage de circumnavigation que les Phéniciens auraient fait autour de l'Afrique au temps du roi Néchao, c'est-à-dire au viiie siècle avant J. C. Les nombreux commentateurs qui se sont occupés de ce passage n'ont pas hésité pour la plupart à déclarer le fait impossible. Le dernier mot n'est pas dit sur cette question et l'on ne s'est peut-être pas assez préoccupé des expressions employées par l'historien : « La Libye est évidemment entourée d'eau, sauf l'espace qui forme la frontière du côté de l'Asie ; Néchao, roi d'Égypte, est le premier, à notre connaissance, qui l'ait démontré.... Il envoya, sur des vaisseaux, des Phéniciens auxquels il ordonna de revenir dans la mer qui est au N., par les Colonnes d'Hercule. Les Phéniciens partirent de la mer Rouge et naviguèrent au S. Quand vint l'automne, ils firent halte et ensemencèrent le lieu de la Libye où ils se trouvaient, car ils ne la perdaient jamais de vue. Là, ils attendirent la moisson et se rembarquèrent après avoir recueilli leur blé. Deux années s'écoulèrent ; la troisième, ils franchirent les Colonnes d'Hercule et arrivèrent en Égypte. Ils ont rapporté un fait que je ne crois pas et que d'autres peut-être croient : en faisant le tour de la Libije, ils ont eu le soleil à leur droite (t. IV, c. 42). » Hérodote se défend d'y croire, donc il n'a pas inventé le fait. Nous demandons comment, au viiie siècle av. J. C, on pouvait soupçonner cette observation vraie qui suppose que la ligne a été franchie et le cap de Bonne-Espérance doublé ? Faut-il croire que les connaissances des Anciens, 100 ans avant J. C, ne dépassaient pas, comme le dit M. Vivien de Saint-Martin, le Cap des Aromates (pointe Gardafui) ?

Quant à l'intérieur, c'est la région du Nil qui a été le plus et le mieux explorée. Sans parler des connaissances des Pharaons, sur lesquelles nous avons trop peu de lumière encore et qui étaient assurément fort étendues du côté de la haute Ethiopie et du Soudan, nous rappellerons que les centurions de Néron avaient pénétré jusqu'au 9° degré latit. N.


et avaient été arrêtés par ces fameux marais qui se rencontrent au-dessus de Khartoum, au confluent du Bahr-el-Abiad et du Bahr-el-Ghazal, exploré par notre compatriote Lejean : c'est-à-dire que les investigations des Romains dans l'intérieur de l'Afrique n'ont été dépassées que depuis 1840 par Arnaud, le Dr Peney, Lejean, et, plus récemment, par Speke et Grant.

Pline, en rappelant les expéditions romaines de Suetonius Paulinus, au sud de l'Atlas (42 ap. J. C), fait mention du Gir ou Niger, un autre Niger est cité par Pline et Ptolémée. Il faut se garder de les confondre avec le Niger moderne. M. Vivien de Saint-Martin a identifié le premier avec le Ghir actuel dans le Sarah marocain ; et l'autre avec le Djeddi du Sahara algérien.

L'expédition de Cornélius Balbus contre les Garamantes (19 ans av. J. C.) rapportée par Pline, montre qu'il avait pénétré jusqu'à la Regio Garamantica, qui est la Phazania ou le Fezzan moderne ; celle de Septimius Flaccus et de Julius Maternus au S. de la Phazania, jusqu'au pays appelé Agizimba (86-90 ap. J. C.), témoigne que ces généraux auraient marché pendant 3 mois vers le S. à partir du pays des Garamantes selon Marin de Tyr, et le géographe ajoute qu'ils y ont vu des rhinocéros. M. Leake place l'Agizimba dans le Bornou, aux environs du lac Tchad ; M. Vivien de Saint-Martin a pu, grâce aux récits du Dr Barth, l'identifier avec l'oasis d'Asben (15°-20° lat. N.), et c'est, pour lui, le point le plus méridional que les Anciens aient connu dans l'Afrique centrale.

Le voyage des 5 Nasamons dont parle Hérodote, qui auraient pénétré, après bien des jours de marche à travers le désert, dans une contrée arrosée par un grand fleuve qui nourrissait des crocodiles et dont les habitants, très-noirs, s'adonnaient à la magie, s'expliquerait, suivant M. V. de St-Martin, en leur faisant suivre la direction de l'O., à travers le Fezzan, jusqu'à l'oasis algérienne de Ouaregla. S'il faut renoncer à voir dans cette célèbre narration un voyage au pays du Bornou et aux fleuves du lac Tchad, où se voient des crocodiles encore aujourd'hui, peut-être faut-il admettre du moins que les Phéniciens, qui par intérêt commercial parlaient peu des pays qu'ils visitaient et qui ne pouvaient tirer leurs éléphants de l'Algérie ou du Maroc où ces animaux n'ont jamais dû vivre en liberté, les faisaient venir du Bornou où l'on en trouve encore en si grand nombre. D'autant plus que c'est bien ce pays qui semble désigné par Pline, ultra Syrticas solitudines, comme lieu de production de ces animaux : au delà des déserts des Syrtes, c'est-à-dire au delà des déserts qui s'étendent au sud de la Régence de Tripoli.

Terminons en disant que la célèbre inscription grecque d'Adulis qui a été gravée au iie siècle de notre ère fait connaître les nations soumises à l'Empire d'Axoum (qui correspond à l'Abyssinie actuelle), et que les nations dont les noms ont été pour la plupart identifiés avec les noms modernes des peuples du plateau Abyssin et des bords du Taccazé et du Nil Bleu par M. Vivien de St-Martin ne sont pas des pays étrangers aux Grecs et aux Romains, puisque cette inscription a été vue par un marchand grec du nom de Cosmas qui vivait en 520 de notre ère.

Races. Nous avons indiqué sur la carte les races anciennement répandues dans le monde à l'époque de l'Empire : l° Les Sémites dans l'Arabie, l'Assyrie, la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et les côtes de l'Afrique où dominait l'élément phénicien, et quelques régions de l'Égypte et de l'Abyssinie.

La race Indo-Européenne, comprenant les rameaux italique, grec, celtique, gaulois, germanique, dacique, slave ou sarmate, galate, cappadocien, arménien, persan et indien : en ajoutant à cette énumération quelques points de l'Afrique où les colonies grecques et l'occupation romaine ont fait prédominer ces familles conquérantes.