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                              Et, dans un coin de son voile étoilé,
Elle emportait son fils hurlant et mutilé.
L’époux sentit son âme en deux parts divisée.
Déployant les douceurs d’une langue rusée,
Par des soumissions et des propos plus doux,
Va-t-il de la déesse apaiser le courroux ?
Ou, bravant tous les dieux dont la haine l’accable,
Couvrir d’un mur de fer sa forge inattaquable ?
Soudain, le souvenir de ses malheurs passés
Fait trembler sur son front ses cheveux hérissés ;
Et, retenant Vénus par sa longue tunique :

« Jupiter !… N’y va pas !… Si ma vengeance inique
A comme un ouragan sur ton fils éclaté,
C’est le destin, plus fort que notre volonté !…
N’y va pas !… n’y va pas !… Je garde la mémoire
De ce temps douloureux, si fatal à ma gloire,
Où le fils de Saturne, horrible et sans pitié,
Du haut des cieux ouverts, me lança par le pié,
Si bien que, pantelant, épouvanté, livide,
Je roulai tout un jour par le désert du vide,
Maudissant à jamais l’audace de mon cœur !
Car qui pourrait lutter avec un tel vainqueur ?
Nos projets contre lui sont vains et misérables !