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un peu déjeune pain, les gens que j’y vois m’émeuvent violemment. Ces rustauds, quelle beauté auguste ! Ils travaillent parmi la bonne terre, leur charrue écorche les sanguins sillons. Qu’elle sécurité et quel charme ! L’énorme labeur, l’innocence solennelle ! »

« Chaque soir, j’énumére les actions du jour. Si j’en sais discerner la vertu et l’éclat, leur insuffisance aussi m’épouvante. Je les compare à celles du pâtre ou du paysan suburbain et leur médiocrité m’étonne. Mon sort, sans doute, est moins beau que le leur. »

« Au temps du sublime Marc-Aurèle, il ne se passait pas un jour, que ce grand homme ne s’embellisse de quelque admirable et exquis bienfait. Cependant j’ai vécu, sans gloire. Par quel exploit me suis-je rendu fameux auprès des héros ou des misérables ! Ai-je célébré ce brin de paille qui est tout pesant d’aromates ? Ai-je secouru un malheureux, me suis-je découvert de nouvelles vertus, le frémissement du monde a-t-il chanté en moi ! — Ah ! je comprends ma présomption ! Le but de ma fortune m’échappe. L’inoccupation de sa force m’en désigne l’obscure perfidie, la magnificence inutile. »

« Je suis là, je sais Dieu, j’atte.ids. La vue deshommes m’est à charge, je ne puis pas vivre en leur compagnie. J’envie des gloires que je n’aime pas et dont le fardeau me briserait. J’aspire au repos des campagnes et la flamme noire de l’ambition me brûle. Exagéré dans mes passions, ma mélancolie et ma haine, je frissonne de désirs contraires, leur frénésie m’épuise, me transporte, m’anoblit. »

« Heureux, celui qui s’ignore ! L’énorme candeur,