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« Ah ! c’est toujours la mâme histoire, s’écrie Clarisse. Combien de fois me l’avez-vous contée. — Ils s’aimaient, le destin soudain les sépara.

« Oui, je le sais, répondis-je, je vous l’ai dite hier encore. Mais le ton diffère pour le paysage. Vous vous souvenez, la joie, le soir, les rires, tout le tumulte urbain ; je vous l’ai récitée hier, cette pâle histoire, et vous l’entendrez demain, et sans cesse. Car c’est la nôtre, peut-être, Clarisse, et sachez-le. »

« La plupart des hommes ne lisent les romans que parce qu’ils espèrent y voir leurs passions, le pressentiment de leur infortune, leur être et ses parades -sentimentales. Je désire que vous compreniez enfin, Clarisse, que les fictions les plus sublimes ne sont point les moins journalières, mais celles-ci même précisément. Oui, si je vous l’ai décrite, et tant de fois, hier, demain, cette banale tragédie de deux héros qui s’aiment et que sépare le sort, ce ne fut point par sécheresse ou mégarde, mais afin de vous avertir que les plus grandes amours s’éteignent, car nous sommes tous des étrangers, nous ne communions qu’un instant ! J’en ai varié la forme. — Un jour je vous l’ai lue, écrite par quelque étrange auteur et le lendemain je l’ai imaginée. — Tantôt je vous l’ai chuchotée et puis dans un beau site rocheux, je l’évoquai, car il m’a plu de vous montrer que partout, ici, là, dans l’île et le désert, à l’aube et à la nuit, pendant le candide mois pascal ou à l’automne, des personnes