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À vrai dire, la théorie ainsi présentée n’élimine pas nécessairement l’anthropomorphisme. Les interprétations finalistes y restent au contraire aisément adaptées. Nous n’en voulons pour preuve que la façon dont Milne-Edwards lui-même parle de la nature[1] : curieuse de diversités, mais aussi soucieuse d’économies, artiste raisonnable, elle veut produire le plus grand nombre de statues, mais sans gâcher son plâtre, et cherche à utiliser ses ébauches antérieures pour réaliser les modèles nouveaux qu’elle se propose. Inégalement proches de la perfection, ces modèles restent séparés, et les espèces qui les reproduisent peuvent nous être présentées encore, suivant les expressions d’Agassiz, comme autant « d’incarnations de pensées créatrices distinctes ».

La théorie de la descendance essaie de rendre inutiles ces représentations anthropomorphiques, elle pousse plus loin l’explication strictement scientifique ; elle nous rapproche davantage du naturalisme objectif. C’est pourquoi, malgré leur antériorité, nous avons cru devoir rappeler les idées de Lamarck après celles de Milne-Edwards.

Là où on ne faisait d’ordinaire que classer, Lamarck veut en effet expliquer. Il commence par constater à sa façon le fait que devait préciser Milne-Edwards. En parcourant d’une extrémité à l’autre la chaîne animale, des animaux les plus parfaits aux plus imparfaits, on observe, nous dit-il, une sorte de dégradation et de simplification des organismes : « les organes spéciaux (ou spécialisés) se simplifient progressivement ou perdent leur concentration locale ; au plus bas degré de l’échelle, chez certaines classes d’infusoires,

  1. Leçons, p. 21 sqq.