Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

dier si l’on veut découvrir quelles forces ont élaboré le squelette de l’organisme hindou. Rattachons, nous dit M. Dahlmann, le régime des castes à l’évolution industrielle, reconnaissons dans les ghildes professionnelles les mères des castes, et nous mesurerons l’impuissance de la théorie artificialiste ; nous pourrons démontrer que l’organisation du monde hindou n’est pas due à des transformations discontinues, et arbitraires[1] ; elle nous apparaîtra comme le fruit naturel d’un développement continu et spontané.

La haute Antiquité des différenciations professionnelles ne prouve-t-elle pas déjà l’influence qu’a exercée, sur toute la vie hindoue, la division du travail industriel ? Les Védas nomment des charpentiers, des charrons, des forgerons, des orfèvres, des potiers, des cordiers, des corroyeurs, etc. ; à mesure qu’on descend vers une Antiquité plus rapprochée, le nombre des métiers distingués va croissant[2]. D’après l’Épopée, c’est le principal devoir des rois que de surveiller la répartition des tâches (karmabheda)[3]. Les codes et les inscriptions mentionnent un nombre croissant de corporations constituées[4]. Lorsque l’industrie hindoue travaille, non plus seulement pour les princes, mais pour les étrangers, et se livre à l’exportation, on voit se former, principalement dans les villes, de véritables ghildes, avec leur président, leur conseil, leur droit propre. Elles veillent à la police des marchés, elles organisent des caravanes, elles donnent leur nom à des fondations, elles manifestent enfin une vitalité puissante. Il faut aller jusqu’au moyen-âge allemand pour retrouver une pareille floraison de ghildes. Le mouvement corpo-

  1. Das Alt. Volkstum, p. 69 sqq.
  2. Dahlmann, p. 188, sqq. Cf. Zimmer, Altindisches Leben, Die Cultur der vedischen Arier nach dem Samhita dargestellt. Berlin, Weidmann, 1879, P. 240-250.
  3. Dahlmann, Ibid., p. 112
  4. Ibid., p. 119, sqq.