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ESSENCE ET RÉALITÉ DU RÉGIME DES CASTES

tagés qu’entre gens de même caste : ils ne doivent même pas être touchés par un étranger[1]. Son regard parfois suffit à les souiller. Si un Paria jetait les yeux dans une cuisine, tous les ustensiles devraient en être brisés[2]. Jacquemont raconte qu’à l’heure du dîner il va troubler le repas de son domestique « Le saïsse, quand il me vit approcher, cria d’un air pitoyable « Monsieur, monsieur, je vous en prie. Ah, monsieur, prenez garde ! Je suis Hindou, monsieur, Hindou. » Il remarque que dans son escorte de cipayes il y a autant de fourneaux, de pots, de feux qu’il y a d’hommes. « J’ignore s’ils sont tous de castes différentes : il n’y en a pas deux qui mangent ensemble »[3]. Il arrive en effet que l’Hindou s’isole pour manger, afin d’être sûr de ne pas contracter de souillure. Chez les Râdjpouts, les familles différentes, alors même qu’elles appartiennent à la même caste, mangent difficilement ensemble[4]. D’où le dicton « pour douze Râdjpouts, il faut treize cuisiniers ». « Pour trois Brahmanes Kanaujas, dit-on encore, il faut trente foyers »[5]. Les scrupules de ce genre sont naturellement plus vifs dans les hautes castes. Mais du haut en bas de l’échelle sociale, on rencontre le même souci. En temps de famine, des Santals se laissèrent mourir de faim plutôt que de toucher à des aliments préparés par des Brahmanes[6]. Qui mange des

  1. Il faudrait distinguer entre les aliments. La manière dont ils sont préparés les rend, si l’on peut dire, plus ou moins « dangereux ». Les Brahmanes acceptent de certaines castes les aliments cuits avec du beurre clarifié (pakki) non les aliments cuits autrement (kachchi) V. Gait, Bengal report (Census of India, 1901, VI, p. 367).
  2. Sonnerat, op. cit., I, p. 108.
  3. Op. cit., p. 266.
  4. J. Bhattacharya, op, cit., p. 135.
  5. Risley, op. cit., I, p. 157.
  6. M. Risley remarque, à ce propos, combien il importe, lorsqu’on veut distribuer des secours en temps de famine, de connaître la hiérarchie des castes, et de savoir de quelle main elles peuvent recevoir des aliments. C’est ainsi que les Chattar-Kais, en Orissa font partie désormais des « castes-perdues » parce qu’ils ont mangé aux cuisines de secours en 1866 (Tribes and Castes, I, p. viii).