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heureuse lacune : non seulement les prêtres ne forment pas en Grèce un corps politique, une classe spéciale, mais ils ne possèdent à aucun degré le monopole de la culture. Aussi cette « cristal­lisation des croyances » qui est l'œuvre ordinaire des hiérarchies sacerdotales 540 ne pouvait-elle se produire en Grèce. Les mythes propagés par les poètes seront librement interprétés et critiqués par les philosophes 541. Et au lieu de se laisser figer par la tradition, la raison humaine, multipliant les enquêtes en même temps que les théories scientifiques, se penchera librement sur la réalité.

Combien en Inde la situation devait être différente ! Ce n'est pas qu'ici non plus, nous l'avons vu, une Église se soit constituée pour modifier les tradi­tions. La religion brahmanique reste, comme dit M. Barth, une religion du Livre. L'autorité des Védas n'est pas contestée. Ils portent en eux un principe divin qui produit tout 542. Et il importe que le Brahmane communie par l'étude des textes sacrés avec ce principe : ce sera pour lui-même une seconde naissance. Mais du moins, déjà consacré par sa race, il est capable d'entrer en communication directe avec le monde sacré. Il garde le droit d'interpréter la révélation. Il ne trouve en face de lui aucun corps officiel de gardiens du Livre, dont les décisions fassent loi. Ainsi s'explique que l'Inde se soit montrée à la fois, comme disait V. Henry, si libre et si conservatrice.

Toutefois si ces penseurs-nés jouissent d'une certaine indépendance, cela tient précisément à ce qu'ils sont les représentants du sacré. C'est au manie­ment des forces surnaturelles qu'ils doivent leur prestige. C'est justement parce que leur royaume n'est pas de ce monde, pourrait-on dire, qu'ils y règnent sans conteste. Et par là