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d'or ; parfois, au nez, une petite boule de cinq ou six perles, avec une émeraude au milieu. En voyant toute cette richesse qu'elles portent sur elles, il est difficile de croire, ajoute l'auteur, à la pauvreté de l'Inde. C'est qu'en effet, le plus souvent, toute la richesse des familles, au lieu de s'immobiliser dans les coffres d'une banque, s'étale ainsi en ornements. Et c'est pourquoi sans doute l'orfèvre, dans les plus modestes villages, est un personnage presque aussi nécessaire que le potier. Indépendamment du goût inné de la parure commun à tant de races, l'habitude de ce luxe spécial ne serait-elle pas entretenue en Inde par la nature propre d'une hiérarchie qui « laisse à presque tout le monde quelqu'un à mépriser » et, quel que soit le mépris où les autres le tiennent, permet à chaque groupe de conserver son grain de vanité propre ?

Sur d'autres points cependant les jeux de la vanité, avec leurs répercus­sions économiques, devaient rencontrer en Inde d'étroites limites. Quelle place en particulier la société hindoue pourra-t-elle concéder à la mode et aux variations qu'elle impose naturellement à la consommation ? Là où l'innova­tion du supérieur est bientôt adoptée par l'inférieur, le supérieur cherche de nouveau à se distinguer ; le mouvement élargissant de l'imitation rend plus vif le besoin d'une originalité nouvelle – d'où une espèce de cercle où les goûts tournent de plus en plus vite à la recherche de l'inédit. Il va sans dire qu'en Inde le morcellement général de la société, fragmentée en groupes qui s'opposent en même temps qu'ils se superposent, devait être particulièrement défavorable à ce mouvement. C'est là surtout où règne le régime des castes que l'empire de la Coutume, qui nous force à imiter nos ancêtres, s'oppose aux conquêtes de la Mode, qui nous invite à imiter les étrangers. La société tout entière est immobilisée, autant qu'une société peut l'être, dans les cadres consacrés. Il n'est donc pas étonnant que les lois et les mœurs conspirent pour maintenir à leur rang ceux qui en voudraient