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LA CASTE ET L’ADMINISTRATION ANGLAISE

disposition. Eût-on soupçonné que le chemin de fer pourrait servir à la consolidation en même temps qu’à l’expansion de l’hindouisme ? C’est pourtant ce que M. Risley nous fait pressentir. Il remarque que plus que jamais les basses castes tiennent à adopter les us et coutumes des hautes castes, où l’idéal du brahmanisme s’est comme incarné. Dans ces dernières années, nous assure-t-il, on peut soutenir que cet idéal, bien loin de perdre, a gagné du terrain grâce au développement même des voies et moyens de communication. La population voyage davantage, les pèlerinages s’organisent plus facilement, l’influence de l’élite orthodoxe de la société se répand de plus en plus. « Les chemins de fer, qu’on a quelquefois représentés comme les destructeurs des préjugés de caste, ont en fait énormément étendu l’aire où ces préjugés règnent en souverains[1]. » Le te-rain au service de la caste : que deviennent nos prédictions sur les vertus égalitaires de la locomotive ?

L’Inde nous rappelle ainsi, à sa manière, ce dont le Japon nous avait brutalement avertis[2]. De tout l’appareil de la civilisation européenne, les vieilles civilisations orientales apprennent à se servir, mais pour se défendre : elles ne changent de corps que pour mieux sauvegarder leur âme.


  1. India, I, p. 430.
  2. V. dans la Revue de Paris, du 1er février 1904, les réflexions de M. F. Challaye sur l'Européanisation du Japon, et nos articles de la Revue Bleue (Orientalisme et Sociologie. – Les conséquences sociologiques de la victoire japonaise, 26 janvier et 13 avril 1907.)