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en demanda plusieurs fois le sujet. Moliere, qui eut quelque honte de se sentir si peu de constance pour un malheur si fort à la mode, résista autant qu’il put ; mais, comme il estoit alors dans une de ces plénitudes de cœur si conneues par les gens qui ont aimé, il céda à l’envie de se soulager, et avoua de bonne foy à son amy, que la maniére dont il estoit forcé d’en user avec sa femme estoit la cause de l’accablement où il se trouvoit.

Chapelle, qui le croyoît estre au-dessus de ces sortes de choses, le railla de ce qu’un homme comme luy, qui sçavoit si bien peindre le foible des autres hommes, tomboit dans celuy qu’il blasmoit tous les jours, et luy fit voir que le plus ridicule de tous estoit d’aimer une personne qui ne respond pas à la tendresse qu’on a pour elle.

« Pour moy, luy dit-il, je vous avoüe que si j’estois assez malheureux pour me trouver en pareil estât, et que je fusse fortement persuadé que la personne que j’aimerois accordast des faveurs à d’autres, j’aurois tant de mespris pour elle qu’il me guérirait infailliblement de ma passion. Encore, avez-vous une satisfaction que vous n’auriez pas, si c’estoit une maistresse, et la vengeance, qui prend ordinairement la place de l’amour dans un cœur outragé, vous peut payer tous les chagrins que vous cause vostre espouse, puisque vous n’avez qu’à la