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DEUX DE TROUVÉES

— Faut-il donc mourir ? dit-elle avec une navrante expression de douleur. Passer la nuit ici ?

« Sans lui répondre, j’ôtai mon capot, mon gilet, mes gants, et je me mis à courir, pour chercher, encore une fois, si nous ne pourrions pas trouver un passage. Notre banc de glace, rogné par les chocs des autres glaçons et rompu en divers endroits, n’offrait plus qu’une superficie de quelques arpents carrés. J’en fis tout le tour, mesurant les distances et calculant nos chances avec un froid désespoir. Nous commencions à sentir l’influence des eaux turbulentes du St. Laurent, qui nous emportaient vers le lac St. Pierre, où nous serions broyés sans ressources. Ruisselant de sueur malgré la pluie fine et glacée qui commençait à tomber, les yeux gonflés par la fatigue et l’épuisement, les oreilles me tintaient, les altères des tempes battaient à se rompre ; c’est ainsi que j’arrivai, trempé par la pluie, essouflé, patelant, auprès de celle pour laquelle j’aurais vingt fois donné ma vie, et que je n’avais plus l’espoir de pouvoir sauver.

« Je me revêtis de mes hardes et m’assis sur la glace, à quelque distance d’Éléonore. Il n’y avait plus qu’à mourir, et je me mis à pleurer comme un enfant ! Soit qu’elle ne m’eut pas entendu arriver, soit qu’elle se fut évanouie, enveloppée par dessus la tête dans la robe de buffle, elle ne fit pas un mouvement. Au bout de quelque temps cependant, elle souleva la peau ; me regarda sans dire un mot, comme si elle eut pressenti, à ma contenance morne et abattue, qu’il ne nous restait plus qu’à mourir.

— Vous pleurez ! me dit-elle enfin avec son angélique voix, si douce.