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DEUX DE TROUVÉES

J’étais debout dans la voiture, tenant les rênes dans mes deux mains et mon fouet entre mes dents. Emporté comme une poussière, je suivis pendant quelques minutes la lisière du banc de glace, espérant trouver quelque chance de sauter sur le rivage. Espoir inutile : quand notre immense glaçon touchait aux glaces du rivage, le choc était terrible ; de larges blocs s’en détachaient et, après avoir tournoyé sur eux-mêmes, s’enfonçaient sous l’eau pour ne plus reparaître.

« Je ne voyais plus de chance de salut que sur la rive opposée ; j’y dirigeai mon cheval, que je sanglai de coups de fouet pour précipiter sa course déjà si furieuse. Je sentis la voiture comme emportée dans l’espace… Nous venions de sauter, sans y toucher, par dessus une crevasse de deux pieds de largeur ! Je fermai les yeux un instant ; puis je les portai sur mon Éléonore, qui s’était couvert la tête de la robe de buffle, pour ne pas voir. À l’autre côté, même désappointement, mêmes difficultés, même barrière de glaçons cassés, brisés, broyés ; se choquant, tourbillonnant dans les remous, plongeant, reparaissant pour replonger encore et s’enfoncer dans ces gouffres d’eau et d’écume.

« Il n’y avait pas de chances sur cette rive ; je résolus de retourner vers l’autre. La lune sortait en ce moment de dessous un nuage ; je vis le village de Sorel, et je reconnus la flèche de l’église à la réflection de la lune sur son clocher en ferblanc. Il n’y avait plus à hésiter ; nous descendions avec une effroyable rapidité. Si je voulais arriver avant d’avoir dépassé les maisons, il me fallait encore pousser mon cheval à toute vitesse. Noble animal il était tout couvert