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UNE DE PERDUE

toutes les parties du corps qui n’avaient point été dévorées par les caraucros. Les deux nègres, qui étaient chargés de conduire le cadavre, prirent Trim pour un fou et voulurent l’arrêter ; mais celui-ci sans les écouter, continua à couvrir le corps de baisers et à remplir l’air de cris déchirants. Les deux nègres ne comprenant rien à la chose, et d’ailleurs se souciant fort peu d’engendrer querelle avec Trim, dont l’herculéenne stature leur servit de calmant, s’assirent stoïquement sur le bord de la levée.

Trim, se relevant au bout de quelques instants, se croisa les bras sur la poitrine ; la tête penchée, en avant, les yeux fixes et immobiles, il se mit à contempler les restes défigurés de son maître. Ses yeux ne pleuraient plus, sa bouche ne faisait plus entendre de sanglots, sa poitrine ne se soulevait plus aux battements de son cœur ; on aurait dit la personnification de la douleur et du désespoir ! Tout à coup la figure de Trim s’anime, ses yeux brillent, ses narines se dilatent : il a cru remarquer que le corps est moins long que celui de son maître ! les jambes et les pieds affreusement enflés ne sont pas trop à la gêne dans les pantalons et les bottes ! Ceci peut-être ne prouve rien ; mais Trim sait que le petit doigt du pied gauche de son maître avait été coupé dès son enfance. — Il ôte la botte, arrache le chausson ; tous les doigts du pied sont entiers ! Trim laisse échapper un cri de joie, mais il craint de laisser apercevoir les soupçons qui entraient dans son esprit, et il dissimula du mieux qu’il put les sentiments qu’il éprouvait. Il quitta alors le cadavre, et reprit d’un pas pressé le chemin de la ville…

Trim était convaincu que le cadavre du noyé