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LA TOUR DE TRAFALGAR.


Êtes-vous jamais allé jusqu’au Fort des Prêtres, à la Montagne ? Vous êtes-vous enfoncé quelques fois dans les sombres taillis qui bordent, au sud-ouest, la montée qui conduit à la Côte des Neiges ? Et si vous avez été tant soit peu curieux d’examiner les sites pittoresques, les vallées qui s’étendent jeunes et fleuries sous vos yeux, les rocs qui parfois s’élèvent menaçants au-dessus de vos têtes, vous n’êtes pas sans avoir vu comme une tache blanchâtre qui apparaît au loin à gauche sur le fond vert d’un des flancs de la montagne.

Eh bien, cette tache qui de loin vous semble comme un point, c’est une petite tour à la forme gothique, aux souvenirs sinistres et sombres, pour celui qui connait la scène d’horreur dont elle a été le théâtre.


I.

l’orage.


C’était, il y a quelques dizaines d’années, par un beau jour du mois de juin, le soleil s’était levé brillant, je pris mon fusil, et, suivi de mon chien, je me dirigeai vers le Fort des Prêtres, dans l’intention de ne revenir que le soir. Il était midi quand j’arrivai à la croix rouge, à laquelle se rattache le souvenir de l’exécrable Bélisle.

La terre était couverte de mille fleurs nouvellement écloses, la végétation se faisait avec vigueur, les feuilles des arbres qui commençaient à se développer, formaient une ombre qui s’étendait épaisse sur le gazon.

Assis sous un grand orme, j’écoutais le gazouillis des oiseaux qui se répétait mélodieux, pour se perdre ensuite dans le murmure d’un petit ruisseau qui coulait à ma droite. Le zéphir doux et chaud, tout en secondant le développement de la nature, portait aux sens une étrange impression de volupté.

Après quelques heures d’une délicieuse nonchalance, je me mis à la poursuite d’une couvée de perdrix que mon chien avait fait lever, et insensiblement, je m’égarai dans la montagne. Déjà il se faisait tard, quand je m’aperçus que j’avais perdu ma route. Le temps s’était enfui rapide, d’énormes nuages, couleur de bronze, roulaient dans l’espace, et par moments voilaient le soleil, qui déjà rasait la cime des hauts chênes.

Bientôt les nuages se condensèrent et formèrent comme un dôme immense qui s’étendait sur tout l’horizon et menaçait