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entend de si loin les gémissements des chrétiens affligés, qui, assuré de sa gloire dont la sagesse de ses conseils et la droiture de ses intentions lui répondent toujours malgré l’incertitude des événements, entreprend lui seul la cause commune, et porte ses armes redoutées à travers des espaces immenses de mer et de terre, aurait-il refusé son bras à ses voisins, à ses alliés, à son propre sang, aux droits sacrés de la royauté, qu’il sait si bien maintenir ? Avec quelle puissance l’Angleterre l’aurait-elle vu invincible défenseur, ou vengeur présent de la majesté violée ! Mais Dieu n’avait laissé aucune ressource au roi d’Angleterre : tout lui manque, tout lui est contraire. Les Ecossais, à qui il se donne, le livrent aux parlementaires anglais, et les gardes fidèles de nos rois trahissent le leur. Pendant que le Parlement d’Angleterre songe à congédier l’armée, cette armée, toute indépendante, réforme elle-même à sa mode le Parlement, qui eût gardé quelques mesures, et se rend maîtresse de tout. Ainsi le roi est mené de captivité en captivité ; et la reine remue en vain la France, la Hollande, la Pologne même, et les puissances du Nord les plus éloignées. Elle ranime les Ecossais, qui arment trente mille hommes : elle fait avec le duc de Lorraine une entreprise pour la délivrance du roi son seigneur, dont le succès paraît infaillible, tant le concert en est juste. Elle retire ses chers enfants, l’unique espérance de sa maison, et confesse à cette fois que parmi les plus mortelles douleurs on est encore capable de joie. Elle console le roi, qui lui écrit de sa prison même qu’elle seule soutient son esprit, et qu’il ne faut craindre de lui aucune bassesse parce que sans cesse il se souvient qu’il est à elle. O mère, ô femme, ô reine admirable, et digne d’une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose ! Enfin il faut céder à votre sort. Vous avez assez soutenu l’Etat, qui est attaqué par une force invincible et divine : il ne reste plus désormais, sinon que vous teniez ferme parmi ses ruines.

Comme un colonne, dont la masse solide paraît le plus ferme appui d’un temple ruineux, lorsque ce grand édifice, qu’elle soutenait, fond sur elle sans l’abattre, ainsi la reine se montre le ferme soutien de l’Etat lorsqu’après en avoir longtemps porté le faix, elle n’est pas même courbée sous sa chute.

Qui cependant pourrait exprimer ses justes douleurs ? Qui pourrait raconter ses plaintes ? Non, Messieurs, Jérémie lui-même, qui seul semble être capable d’égaler les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets. Elle s’écrie avec ce prophète : Voyez, Seigneur, mon