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GILLES DE RAIS.

vil prix, est un principe des plus ruineux en commerce ; il n’est pas de fortune qui puisse résister longtemps à une pareille économie[1]. Mais que lui importait encore une fois ? N’allait-il pas pénétrer le secret de la richesse ? Il pouvait donc sans crainte tarir les sources réelles de sa fortune, car bientôt il puiserait à des sources inconnues aux autres hommes, d’où couleraient des eaux si abondantes, que le monde en serait arrosé tout entier. Aussi l’or s’échappe à flots de ses mains. Reçoit-il quelque somme d’argent ? il le distribue à « ses poursuivants, à ses palefreniers, à ses pages, à ses valets, gens de bas état, qui l’appliquaient à leur profit et le convertissaient en folles plaisances ; il n’en voulait jamais ouïr aucun compte, ni raison, ni savoir même comment et en quels usages se distribuaient ses deniers ; car il ne s’inquiétait nullement comment il en allait, pourvu qu’il eût toujours de l’argent à follement dépenser[2]. »

Il arriva souvent que des débiteurs soupçonneux, prévoyant une ruine inévitable, élevaient des doutes sur l’avenir et faisaient des difficultés : le moyen de faire tomber ces obstacles, pour Gilles, était de donner des gages en garantie de sa parole. Parfois, c’étaient ses serviteurs qui se portaient caution pour lui avec une générosité qui pouvait passer pour reconnaissante de ses faveurs : leur caution était grassement payée, et ils n’auraient pas voulu, les bons princes ! obliger leur maître envers eux « jusqu’à la prison[3]. » Le plus souvent, Gilles remettait aux mains du vendeur ou du prêteur, quelque objet qui représentait doublement la valeur de l’emprunt ou de l’achat. C’étaient tantôt des bagues et des joyaux de grand prix, qu’il rachetait ensuite au poids de l’or, ou qui demeuraient en toute propriété aux mains de l’heureux débiteur ; c’étaient tantôt les livres les plus rares de sa bibliothèque, comme Valère-Maxime, la Cité de Dieu écrite en latin, et la Cité de Dieu écrite en français, vraisemblablement la traduction de Raoul de Presle, qu’il

  1. Lettres patentes de Charles VII — Mémoire des Héritiers, fos 14, vo ; 15, ro.
  2. Mémoire, des Héritiers, fo 11, ro. — Pièces communiquées par M. Doinel.
  3. Pièce communiquée par M. Doinel, du 27 septembre 1434.