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GILLES DE RAIS.

dénotent une intelligence naturelle et cultivée des plus remarquables. Le goût de la musique était une de ses passions favorites ; il prenait un tel plaisir à l’entendre, qu’il se fit bientôt construire des orgues portatives, destinées à le suivre partout dans ses voyages : elles étaient portées sur les épaules de six hommes vigoureux, « quant il allait par pays, à grant mise et despense[1] . »

Mais que lui faisaient ces dépenses ruineuses ? La pensée de la gloire qui lui en revenait le dédommageait au centuple. Il n’y avait ni prince, ni roi, qui pût lutter par le luxe avec lui ; le duc d’Anjou lui-même, dont les goûts, si pareils aux siens, étaient également magnifiques, n’avait rien à montrer dans sa chapelle, ni de plus beau, ni de plus somptueux. Quant au duc de Bretagne, lorsqu’il séjournait à Nantes ou dans quelque autre ville voisine, il était assez honoré que Gilles de Rais, son vassal, voulût bien lui prêter sa chapelle[2]. Mais : tous ces dehors brillants s’adressaient uniquement aux yeux ; un orgueil effroyable les avait enfantés ; et il n’y avait dans cet étalage d’or, d’argent, de lumières, de chants, de vêtements et de fourrures, que gloriole et vanité. Dieu était complètement oublié, et toute la gloire en revenait à l’homme qui payait de son or toutes ces merveilles. Aussi, « en leur service, n’avait dévocion ne bon ordre ; et, en effect, ce n’estait que vaine gloire et dérision entre gens de sens et de discrétion[3]. » Dieu veut être autrement servi.

Les largesses de Gilles de Rais n’étaient point bornées aux gens de sa maison ; il les répandait à pleines mains au dehors, même sur les étrangers et les inconnus. Sa demeure était ouverte à tout venant, de quelque pays et de quelque condition qu’il fût ; la table y était toujours dressée ; l’hypocras et les vins fins toujours abondants ; à toute heure du jour, le voyageur pouvait y venir boire et manger[4]. Il n’était pas rare qu’il distribuât des livrées de cent et cent vingt robes, quelque-

  1. Mémoire des Héritiers, fo 8, ro.
  2. Ibidem, fo 8, ro.
  3. Ibidem, fo 8, ro.
  4. Ibidem, fos 8, vo ; 9, ro.