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GILLES DE RAIS.

Bueil. Or, il paraît bien que depuis longtemps Gilles de Rais avait oublié sa promesse de servir et de défendre le favori en toute occasion envers et contre tous les seigneurs, sans nul excepté, et de quelque état qu’ils fussent. Du moins, au moment de la chute de la Trémoille, où tout devait lui rappeler son serment, s’il s’en souvint, ce souvenir fut peu efficace. Bien loin d’avoir été entraîné, en effet, dans la disgrâce du ministre tombé, non plus que ses cousins de Laval, dont Georges était également et le parent et le protecteur, j’oserais dire même le tuteur à la cour de Charles VII, il paraît avoir été admis à partager ses dépouilles avec les successeurs du favori au pouvoir ; à tout le moins participa-t-il à leur amitié et à leurs exploits[1]. On objectera qu’il était impuissant contre la faction victorieuse ; mais il est facile de répondre qu’un homme, qui s’est engagé par serment à défendre son protecteur, ne communique pas avec ses ennemis lorsqu’ils triomphent. Dans l’impuissance où il est de rien faire pour un ami malheureux, il lui reste la ressource de briser loyalement son épée, et de sortir d’un camp où tout lui rappelle sa trahison ; où ceux qui commandent sont des adversaires, puisqu’ils sont les adversaires d’un pouvoir auquel était liée sa fortune. M. Vallet de Viriville pense qu’il en a été ainsi : « Il accompagna, dit-il, lors de sa disgrâce, Georges de la Trémoille, et la Fayette reprit, avec le gouvernement de Charles d’Anjou, son bâton de maréchal. » La vérité pure est que le nouveau pouvoir n’enveloppa nullement le maréchal de Rais dans la haine qu’il avait pour la Trémoille et pour tout son parti, et que Gilles ne fut point frappé de ces proscriptions dont on poursuivit la faction vaincue : ce qui prouve clairement que les ennemis de la Trémoille ne le regardaient pas comme le plus sincère de ses amis, comme un ami dévoué jusqu’à la perte des biens, jusqu’à la mort.

  1. Guillaume Gruel, Edit. 1622, p. 55, 56, 57 et 58 ; Martial de Paris, dit d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, 1493, II, p. 137.